Futuro, photographie de David Peinado, 14 février 2012, Pexel

Deux Saintes en Enfer dans un roman bouleversant de réalisme.

En quelques mots, Le Tiers pays raconte l’histoire de Angustias Romero migrant vers la frontière d’un pays non nommé, avec sa famille. Son mari est atteint par le virus qui provoque l’amnésie, et ses deux fils, jumeaux, meurent durant le voyage. Afin de les enterrer dignement elle cherche Visitación Salazar, la propriétaire d’un cimetière illégal. Finalement, les deux vont finir par travailler ensemble, dans un monde de violence où les hommes veulent récupérer les terres de Visitación. Trafique, corruption, assassinats, voici la violence quotidienne contre laquelle les deux femmes décident de s’unir.

Un roman bouleversant

Le roman Le Tiers pays de Karina Sainz Borgo est tout simplement marquant. C’est une histoire qui ne s’oublie pas. La profondeur des protagonistes est touchante, et bouleversante. Ce sont des destins à la fois uniques et universels. Uniques par le zoom fait sur la vie, la personnalité et le destin de chaque personnage. Universels par l’omniprésence de ces destinés dans le monde passé, actuel ou de l’avenir. Parce qu’aussi simple qu’est cette idée, elle n’en ait pas moins véritable : il y a toujours eu et il y aura toujours des migrants et des sépultures manquées.

Un roman réaliste

Le Tiers pays paraît en France des années après Laurent Gaudé et Eldorado ou encore Marie Ndiaye et Trois femmes puissantes. La décision des écrivains de ne pas nommer exactement les lieux de crise est récurrente. Ici, c’est « le Tiers pays ». Aucune nation précise, juste un cimetière perdu, dans un village perdu, aux abords d’une frontière qui perd ceux qui tentent désespérément de la traverser. Karina Sainz Borgo apporte du caractère et du vivant au thème, grâce à son regard de journaliste, mais également sa connaissance des problèmes économiques et sociétaux de son pays. Si le roman appartient au réalisme magique, il ne faut pas oublier que l’écrivaine s’est déplacée au cœur de la crise migratoire d’Amérique Latine. La condition des femmes migrantes et des amérindiens conquis est aussi évoquée, subtilement, mais sincèrement. Ces oubliés ne sont pas seulement survolés, mais plutôt implantés dans le récit. On comprend, à travers les actions, les conséquences d’un colonialisme d’époque moderne vers un racisme généralisé. Les amérindiens sont considérés comme inférieurs et exploités dans la société contemporaine. Le sexisme est au service des hommes imbus, qu’ils aient du pouvoir ou non. Dans le second cas, étant eux-mêmes soumis à d’autres hommes, ces individus cherchent à prouver leur supériorité sur ces personnes marginalisées et exclues du système.

Un roman d’amour et d’espoir

C’est la conscience du manque de dignité que reçoivent les migrants qui décide la romancière de privilégier le roman à l’article. Cela se ressent dans l’écriture. Les « méchants » de ce roman font littéralement peur. La violence physique, mentale et sexuelle dont ils font preuve est effrayante de réalisme. Au contraire, un grand respect, presqu’une admiration envers ces combattants du quotidien est perceptible. Les femmes sont impressionnantes de puissance et de tempérament. Timide ou extravertie, franche ou réservée, amante ou vierge, toutes les femmes ont du caractère et une envie dévorante de survivre. Jamais elles ne se soumettent, jamais elles ne tombent. Même la mort doit se méfier d’elles, puisqu’elles réussissent à l’embellir.