Chez Orwell, Big Brother surveille tout. Crédits photos : Joseph Mucira via Pixabay.

Julia : une réécriture qui ne laisse pas de marbre

            Chaque année, la rentrée littéraire est sans aucun doute l’événement le plus attendu par tous les professionnels du livre. Et chaque année, difficile de savoir où donner de la tête. Romans français, essais, fictions étrangères… Les genres et les parutions s’accumulent et il est délicat de se faire une place, notamment face aux habitués. Pourtant, un roman a réussi cet exploit et a su tirer son épingle du jeu, malgré son statut particulier : Julia de Sandra Newman, réécriture du légendaire 1984, parue le 29 août et écrite par une autrice totalement méconnue de la scène française.

 

Un roman inattendu… Complètement attendu

            Parfois, être un outsider a du bon. En effet, personne ne s’attendait à retrouver Big Brother aux côtés de Maylis de Kerangal ou Gaël Faye. L’effet de surprise a donc été radical : plusieurs mois avant sa sortie, Julia était sur toutes les lèvres. Des podcasts à la presse spécialisée, nombreux sont ceux ayant manifesté leur impatience face à la relecture de 1984. Une impatience qui s’explique par le statut mythique de l’œuvre d’Orwell mais pas que : Sandra Newman nous offre un nouveau prisme de lecture, celui des femmes.

            Ce n’était qu’une question de temps avant que 1984 s’inscrive dans le courant des réécritures féministes contemporaines. Étant soutenue par les ayants droits d’Orwell, la démarche ne pouvait qu’intriguer les fans de la première heure. À l’annonce de la traduction, beaucoup ont exprimé leur enthousiasme sur les réseaux sociaux, et surtout, leur curiosité.

            Curiosité qui a vite été rassasiée chez les libraires et les critiques suite aux services presse : tous sont formels, l’exercice est réussi. Avant même sa parution, Julia bénéficiait d’un terrain plus que favorable…

 

S’imposer face à la concurrence

            Les éloges ne se sont pas taries en septembre, bien au contraire. Presque la moitié des articles au sujet de Julia ont été écrit à cette période, aussi bien en France qu’à l’étranger ! On souligne le talent de Newman et la pertinence de ses ajouts, à l’instar d’Olivier Van Vaerenbergh pour Le Vif : « elle transforme surtout un second rôle victimaire en premier rôle remarquable, cette fois d’une grande contemporanéité ». Un angle féministe qui a donc plu et qui a permis de dénoncer la misogynie latente d’Orwell.

            Et en ce qui concerne la dénonciation, Julia n’était pas seul à la barre : face à lui, L’invisible Madame Orwell de Anna Funder. Deux livres ayant pour seul dénominateur commun l’écrivain britannique, puisque celui de Funder est un roman hybride, à la fois essai et non-fiction. Une fausse rivalité est pourtant créée par les médias, traitant systématiquement les deux ouvrages en même temps. On peut citer Bernard Quiriny pour le LireMagazine spécial rentrée littéraire : Julia est « un projet culotté mais réussi : l’autrice trouve la bonne distance entre appropriation et fidélité, inventions et citations » mais L’invisible Madame Orwell « s’enlise dans les généralités solennelles […] et sombre dans le ridicule ». Une guerre non souhaitée mais qui profite grandement à Julia : c’est lui qui récolte tous les lauriers.

Un succès court, mais intense

            Après septembre, les critiques se font rares et le roman perd peu à peu son exposition. Face à l’effervescence des prix littéraires, difficile de continuer à briller, surtout quand on n’en a gagné aucun. Néanmoins, sa présence médiatique se clôt en beauté avec l’avis mélioratif de deux immenses journaux : Le Nouvel Obs et Le Monde. La réécriture se « fond avec aisance dans l’univers de son illustre prédécesseur » et « obéit à une logique propre ». De quoi la célébrer une dernière fois et saluer sa performance.

            De fait, pour une relecture d’une autrice méconnue, le bilan est plus que positif. Julia a incontestablement marqué cette rentrée littéraire. Le roman a su se faire une place et a trouvé son lectorat. Par son audace, ses convictions et sa plume, Sandra Newman a fait une entrée magistrale sur la scène littéraire. Nul doute qu’on la retrouvera bientôt, et qu’elle saura tout autant séduire son nouveau public…

 

Julia de Sandra Newman, Robert Laffont, 2024.