La marque de vêtements Jennyfer annonce l’arrivée de la dark romance dans ses rayons. Retour sur un genre au succès sulfureux.
L’explosion d’un genre
“On assiste depuis une dizaine d’années l’explosion du genre. Le roman d’amour se modernise. Depuis peu, un sous-genre apparaît, la dark romance, avec des situations plus sombres dont l’héroïne tente de se défaire : celui-là est réservé normalement à un public averti.”
C’est ce que confie une bibliothécaire travaillant à Nelson Mandela, établissement appartenant au réseau des bibliothèques d’Angers. Nous avons eu l’occasion de lui poser quelques questions sur la romance, et plus précisément sur la dark romance et sa réception en structure publique :
En tant que lectrice, quel est votre avis sur la romance en général ? Et sur la dark romance ?
J’apprécie les romances, car elles apportent de la légèreté au quotidien. Je lis aussi de la romantasy, qui mêle histoire d’amour et aventures dans un monde imaginaire. Il m’arrive de lire de la dark romance mais je me dirige moins vers ce genre qui présente des situations où les femmes sont souvent dévalorisées.
Avez-vous remarqué une évolution dans les attentes des lecteurs concernant la romance au fil des ans ?
Les romances sont de plus en plus demandées depuis quelques années chez les lecteurs adultes. À la faveur des réseaux sociaux et des plateformes comme Wattpad, les adolescents se remettent aussi à la lecture, et certains semblent effectivement attirés par la dark romance.
Les demandes de livres de dark romance sont-elles récurrentes ?
À Nelson Mandela, nous avons des demandes de temps en temps mais très peu de titres en rayon. Si ce sont des personnes averties, nous les renvoyons vers les bibliothèques qui ont un catalogue plus large.
Nous imaginons que vous devez être confrontée à des questions éthiques concernant la promotion de la dark romance, en particulier quand il s’agit de jeunes lecteurs ?
Effectivement. Nous avons envie de satisfaire nos lecteurs mais il est difficile de conseiller un roman où les femmes sont dans des situations avilissantes. Nous essayons de les orienter vers des lectures plus soft.
Cet échange intéressant, résumé ici en quelques lignes, nous a permis de comprendre le traitement de la dark romance dans un établissement aussi accessible qu’une bibliothèque, et il semble que les structures prennent pleinement conscience des pièges de catégorisation de ces romances plus sombres, dont les contenus extrêmes demeurent parfois trop implicites au premier regard. Les agents tentent au mieux d’adapter leurs catalogues et leur référencement en conséquence, mais il semblerait que tout le monde ne soit pas aussi consciencieux.
Un genre qui attire un public trop jeune
Jusqu’à présent, la romance avait du mal à se faire sa place dans la littérature, avec parfois une image un peu désuète. Mais depuis le récent succès de 50 nuances de Grey, le genre s’est énormément développé et le nombre de lecteurs a explosé. Hausse du nombre de ventes oblige, la romance s’est fait sa place dans le paysage littéraire et est toujours en expansion. En France en 2023, 106 titres du genre ont dépassé les 10 000 exemplaires vendus, contre 56 en 2022. On compte parmi eux des auteurs à succès comme la controversée Colleen Hoover qui comptabilise 1,2 millions de livres vendus.
Avec un tel succès, le genre s’est donc très logiquement développé et de nombreux sous-genres ont vu le jour. Entre romantasy, new romance, romance feel good, ou encore dark romance, les variations abondent pour toucher un plus grand nombre de lecteurs. Mais la romance est parfois trop populaire : la dark romance notamment, ne convient pas à tous les âges en raison d’un contenu très explicite ou toxique. Pourtant, même si la cible principale est les 18-25 ans, elle attire de très jeunes lectrices dès 12 ans.
La dark romance a été popularisée grâce à la plateforme Wattpad, renforcée par une forte présence sur les réseaux sociaux notamment Tiktok qui regroupe une grande communauté de lecteurs sous la bannière Booktok. Comme son nom l’indique, la dark romance met en scène des relations très noires entre ses personnages. La femme principale est souvent au coeur d’une romance avec un homme en position de force face à elle. Que ce soit un kidnapping ou une relation abusive, on y retrouve souvent des scènes de violences, des rapports sexuels non consentis, des humiliations et autres agressions psychologiques et physiques. Si à la base ce genre sert à faire face à ces traumatismes, il doit être lu avec un certain recul et une compréhension de l’écart avec la réalité. Il est nécessaire de l’aborder en pleine connaissance de cause et d’avoir reçu une éducation au consentement de qualité. La polémique est là : non seulement les jeunes filles n’ont pas encore cette éducation sur le consentement, mais elles pourraient se construire avec ces livres comme exemple.
Quand la fast-fashion s’improvise librairie
Surfant sur la vague des succès de BookTok et Bookstagram, il n’a pas fallu longtemps avant que des enseignes s’allient aux maisons d’édition pour vendre des best-sellers. Actualitté nous apprenait en août dernier le partenariat entre les éditions Gallimard et l’enseigne de fast-fashion Zara. La marque de vêtements souhaitait s’apparenter à une enseigne de luxe en se servant de l’image élitiste des livres pour redorer son blason.
Mais avant elle, Jennyfer a aussi lancé un rayon « livres » dans une vingtaine de ses magasins en France et en Belgique. La marque s’était employée, en juin 2023, à changer son identité après avoir frôlé la faillite pour élargir son public aux 15-24 ans. Ainsi, l’enseigne jusqu’à présent dédiée aux jeunes filles de 10 à 14 ans, propose dorénavant en magasin des livres de dark romance, comme Captive.
Un choix controversé quand de nombreuses personnes ont toujours en tête l’ancienne identité de la marque. Les livres présentés en rayons comportent pour certains d’entre eux, des scènes explicites, qui, au cinéma et à la télé, seraient interdites aux moins de 18 ans. Mais les livres ne sont pas contraints par cette obligation. Et contrairement aux libraires, les vendeurs de magasins de vêtements n’ont pas été formés pour conseiller des livres. La plupart ne savent même pas de quoi ils parlent et ne peuvent donc pas prévenir les parents. La marque n’est pas là pour faire librairie. Les clients reconnaissent les couvertures qu’ils ont vu passer sur TikTok et achètent les livres sur un coup de tête. Ce qui est le plus controversé c’est que sans contrôle parental, ou sans mention sur la couverture, des enfants pourraient se retrouver à lire des livres non adaptés à leur jeune âge.
C’est pourquoi les maisons d’édition spécialisées dans la romance ont mis des mesures en place pour indiquer ce que contient le livre comme par exemple ajouter dans les premières pages des trigger warnings. Se mettant petit à petit à la page, les éditions Hachette ont commencé à indiquer le mois dernier la mention « Hachette Romance Plus » sur les livres comprenant des scènes explicites. Une initiative primordiale afin de sensibiliser les parents sur ce que lisent leurs enfants et qui devrait sans doute être rendue obligatoire pour ces magasins de vêtements qui s’improvisent librairies.