Comment une famille entière peut-elle disparaître dans un monde aux murs transparents ? Cela paraît impossible, et pourtant, c’est ce que nous raconte Lilia Hassaine dans son troisième roman Panorama, paru le 17 août 2023. Après une semaine ensanglantée, où chacun s’est vengé de son ravisseur, la France bascule dans l’ère de la Transparence. En 2049, finis les murs en pierres et place aux murs de verre afin de garantir la sécurité de chacun. Mais qu’est-ce qui importe le plus, entre notre sécurité et notre liberté ? Cette contre-utopie pose cette question très actuelle, à l’heure où l’on prône plus de transparence pour tout, et où l’on montre de plus en plus sa vie personnelle en ligne. Ce que souhaitait l’autrice, c’était pousser davantage ce qui existe déjà dans notre société, et c’est réussi.
« Au fond, qu’avons-nous à cacher ? Si nous n’avons rien à nous reprocher, pourquoi ne pas accepter de tout montrer ? »
Le fait qu’on ne soit qu’en 2049 rend cette réalité terrifiante, parce qu’elle est totalement plausible. La Transparence apparaît comme une négation de notre intimité, mais qui a du bon : baisse de la criminalité, entraide entre voisins… Et pourtant, Panorama nous pousse à remettre en doute notre façon de vivre. Lilia Hassaine nous fait prendre conscience de la préciosité de petites choses du quotidien, permises par le mystère et le secret.
Polar et anticipation
Tout le long des 250 pages, le polar et l’anticipation s’entremêlent. Néanmoins, ce n’est pas l’enquête policière qui a porté ce récit jusqu’au prix Renaudot des lycéens. Celle-ci est intéressante, mais connaître le coupable n’est pas l’enjeu majeur et certaines énigmes se devinent avant que la vérité ne soit révélée. Finalement, cette affaire est presque un prétexte afin de mettre en place une contre-utopie, pour dénoncer l’évolution de notre société. Néanmoins, la résolution de l’enquête reste surprenante et difficile à supporter. On rit parfois, on s’inquiète beaucoup, puis on pleure. Le coupable peut être n’importe qui, et cela fait froid dans le dos. C’est peut-être un parent, un enfant. Un citoyen. Un citoyen jugé parfait. Ou des citoyens ? Panorama nous fait revoir notre appréhension des autres, mais aussi de la société et de ce qu’elle veut de nous. La combinaison de ces deux genres nous révèle une chose : l’Homme est particulièrement complexe. C’est cet aspect psychologique en filigrane qui donne son charme au roman. Pourtant, le sujet est trop peu soulevé par la critique. Lilia Hassaine montre comment l’humain ne peut pas vivre dans un monde parfait. Nous avons besoin de rêver et de ne pas tout avoir à portée de main. Nous avons besoin d’aimer, mais aussi de souffrir. C’est ce qu’est vivre. Mais dans Panorama, si l’on ne rentre pas dans des cases, le destin peut nous être défavorable… C’est pourquoi la famille Royer-Dumas a disparu.
« J’aime la vie qui fait mal, qui use et qui déçoit. […] Ce n’est pas si triste, la tristesse. »
Un style travaillé
Le style de l’autrice mérite également des applaudissements. Simple à lire, le roman cache un véritable effort d’écriture. Lilia Hassaine s’est adapté au monde qu’elle créait, en adoptant un style brut. Celui d’une policière désabusée. Celui d’un monde sans passion et sans poésie. Elle montre habilement comment les Hommes de 2049 se sont appauvris, jusqu’à utiliser sans cesse les mêmes mots. En plus de cela, l’autrice a parfaitement pensé son monde. Comment fait-on pour se laver en toute intimité ? Et pour les relations intimes ? Les réponses n’apporteraient rien à l’intrigue policière, mais la curiosité humaine souhaite les connaître. Cela fait partie de ce monde transparent, qui pourrait être notre futur, alors on veut savoir. Et Lilia nous dit.
C’est donc un roman réussi, que j’ai beaucoup apprécié. Néanmoins, lorsqu’un Veiller sur elle existe, je ne peux pas dire que Panorama est mon roman favori de la rentrée littéraire. Mais il y a indéniablement sa place, avec un sujet de société important à porter.
Panorama de Lilia Hassaine, Gallimard, 2023.