Veilleuse du Calvaire, une ode aux femmes haïtiennes

Veilleuse du Calvaire s’ancre dans une région spécifique d’Haïti, appelée la « Colline du Calvaire » qu’un jour un notaire a décidé d’appeler sienne. Marcello Mérable n’avait aucune preuve pour prouver la possession de cette colline mais personne n’irait chercher bien loin. Grâce à de faux actes de propriétés, il a donc séparé, brisé cette colline en différentes parcelles qu’il a vendues et distribuer comme on le ferait des petits pains. Sur ces parcelles à la fin du xixème siècle, des individus se sont installés, des vies ce sont déroulées, et c’est ce que Lyonel Trouillot raconte dans ces 176 pages.

Pour ce faire, il s’efface pour laisser place à une narratrice : la Veilleuse. En plus d’être la voix de la narration, la Veilleuse est une légende de la colline. Jeune femme mystérieuse que l’on croiserait parfois dans les rues la nuit, entourée d’une aura envoutante, elle protège la colline, préserve ses parties sauvages, et surtout, sert de main armée à la colère des femmes. Nul ne saurait dire si elle existe réellement : pas même le lecteur lorsqu’il tourne la dernière page du roman.

Au fil de ses pages se tisse une histoire complexe : celle d’une terre meurtrie et de vies détruites. Pour que la souffrance de toutes ces âmes puissent être exprimées correctement, le roman prend une forme chaotique et désorganisée. Deux voix s’y mêlent. La Veilleuse du passé parle comme parlent les légendes : avec un « je » torturé et passionné qui s’enflamme de la colère de tous les pas ayant foulé la colline. La Veilleuse du présent, elle, joue à la chroniqueuse, s’effaçant derrière une troisième personne objective. La Veilleuse du passé pose des questions, celle du présent y répond mais le doute subsiste.

Même lorsque la « vraie » narratrice est révélée — une étudiante logeant dans une chambre, entre toutes les vies qu’elle raconte — le doute subsiste. C’est un art que Lyonel Trouillot semble maîtriser à la perfection. Veilleuse du Calvaire évolue entre les genres, entre les temporalités, entre vérité historique et merveilleux légendaire. Sa lecture en est passionnante mais également difficile. On évolue au travers des pages de la Veilleuse comme en résolvant un exercice littéraire. Veilleuse du Calvaire s’offre au lecteur comme une énigme poétique, parfois douloureuse et complexe, parfois douce et limpide. Si les amoureux de la poétique et de la cause féminine sauront y trouver leurs marques, comme cela a été mon cas, peut-être n’est-ce pas le cas de tous, expliquant sa réception générale.

Mais la littérature ne vit pas que pour et par la presse. La plume de Lyonel Trouillot est vivante et prête à faire sonner les voix de tous ceux, et surtout toutes celles, qu’on ignore, loin dans les îles comme celle d’Haïti.

Icône de la littérature féministe haïtienne, Veilleuse du Calvaire est un livre à découvrir et à faire découvrir.

Veilleuse du Calvaire, Lyonel Trouillot, Actes Sud, 2023