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L’Enfant des forêts, hors des sentiers battus

Avec un style très singulier et un récit hors-normes, L’Enfant des forêts a le potentiel de diviser, mais en aucun cas celui de laisser indifférent. J’ai pour ma part trouvé à l’œuvre un charme très efficace malgré la froideur et la cruauté qui peuvent se dégager de certains passages, en grande partie grâce à la caractérisation très humaine des deux protagonistes. L’Ogre et l’enfant sont en effet les deux plus grandes réussites du roman, et je dirais même plus : ce dernier n’aurait simplement pas pu être bon si ces personnages n’avaient pas été aussi attachants. Ce que j’entends par là, c’est que le récit est très minimaliste, presque un huis-clos à vrai dire. Pendant plus de 300 pages, le lecteur côtoiera quasi-exclusivement l’Ogre Gundrup et Gun-aïdrinn, son captif, et l’action ne concernera que leur rapport en constante évolution. Et pour cette raison, une très grande partie de la qualité du récit repose sur leur traitement en tant que personnages. Un pari risqué, mais que j’estime réussit.

Néanmoins, cet aspect minimaliste, mêlé à un côté très « introspectif », rebuteront peut-être un public friand d’un rythme plus effréné. Sans à aucun moment tomber dans ce que l’on pourrait qualifier de longueurs, il faut reconnaître que beaucoup des points d’intrigues se forment sur la base d’événements assez minimes qui s’accumulent, plutôt que sur des retournements majeurs qui ponctueraient l’œuvre – de fines gouttes qui viennent une à une s’approcher dangereusement de la surface du vase. Entre ces moments où la dynamique de l’histoire est radicalement bouleversée, le rythme de l’action est finalement assez lent, un choix est fait dans le but de travailler, surtout, la tension qui régit l’œuvre.

En cela, j’aurais tendance à rapprocher L’Enfant des forêts des romans du genre horrifique : un texte très axé sur le ressenti des personnages, d’un point de vue interne, et qui prend le temps d’installer une ambiance, une aura, desquels émanent le plaisir de lecture, plutôt que de venir d’une succession de rebondissements. Un rapprochement logique, finalement, puisque l’œuvre repose sur l’idée de mettre en conflit d’une part le conte, le fabuleux, et d’une autre le froid, le cruel. Et cette dimension horrifique, justement, est aussi une des raisons pour lesquels ce livre est à mon sens une réussite. Et là encore, l’efficacité de cette facette du récit est due aux deux protagonistes et à leur point de vue interne : l’enfant, d’une part, est celui auquel le lecteur s’identifie – celui qu’il veut voir triompher, celui qu’il veut voir survivre. Mais c’est également le personnage le plus vulnérable, constamment à la merci de son adversaire. Ce qu’il en résulte, c’est que le lecteur se retrouve lui aussi en situation de vulnérabilité, et c’est de là que vient la tension. Tension accentuée par le second personnage, l’Ogre, dont le point de vue sert à légitimer la menace : chaque fois que Gün-aïdrinn échafaude un plan, chaque fois qu’il semble gagner du terrain, les chapitres narrés par Gundrup sont là pour nous rappeler qu’il voit clair dans son jeu, et que le moindre faux pas pourrait signifier sa perte. En découle un suspens permanent, mais également une catharsis absolument jubilatoire lors des quelques moments où l’enfant réussit bel et bien à duper son maître.

L’Enfant des forêts, c’est un coup de cœur personnel, qui réussit le tour de force d’être un récit singulier et universel à la fois. Ce que j’entends par là, c’est que malgré son style unique, aussi chaotique que poétique, l’œuvre de Michel Hauteville explore des thématiques qui sont finalement très « primordiales » : l’enfant et l’adulte, le maître et l’esclave, l’optimisme et le fatalisme – à son niveau le plus basique, le bien et le mal.

L’Enfant des forêts de Michel Hauteville, Le Tripode, 2023