Photo : Lucie Costerg

Ananda Devi dans la prison de Montluc : une nuit pour tout dire

Passer une nuit, seule, dans la prison de Montluc et écrire un livre à propos de cette expérience. C’est ce que l’éditrice d’Ananda Devi lui propose un jour au téléphone. Elle est invitée à participer à la collection « Ma nuit au musée » des éditions Stock. Le principe est simple : un auteur passe une nuit dans un musée ou devant une œuvre et doit écrire un livre à propos de cette nuit. Ananda Devi hésite d’abord et pense plutôt aller au château de Voltaire qui se trouve juste à côté de chez elle, un choix plus simple. Mais pour l’autrice du Rire des déesses ou encore du Sari vert, choisir la facilité n’est pas une option. Mettant un point d’honneur à écrire des textes engagés et empreints de poésie, Ananda Devi décide de faire face, durant une nuit entière, aux fantômes de la prison de Montluc.

« Une faille de l’Histoire »

Située à Lyon, cette prison a été le lieu d’incarcération de nombreux résistants lors de l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Jean Moulin, Raymond Aubrac, René Leynaud, André Devigny furent emprisonnés dans la prison alors que Klaus Barbie en était le directeur. Les enfants d’Izieu seront aussi détenus à Montluc avant d’être déportés. Après la guerre, ce sont des prisonniers algériens, dont onze furent exécutés dans les années soixante, qui sont enfermés. Des années plus tard, Klaus Barbie reviendra en tant que détenu pour un passage symbolique dans la prison avant son procès. La prison de Montluc est transformée en mémorial à sa fermeture en 2009.

Une histoire commune

Pourtant, La nuit s’ajoute à la nuit n’est pas un livre sur la Seconde Guerre mondiale. Même si Ananda Devi se sent hantée par ces événements, cette histoire n’est pas la sienne. Elle, qui vient de l’île Maurice et de parents d’origine indienne, n’a aucun lien personnel avec la Shoah. Mais elle a un lien avec l’esclavage, une « autre horreur humaine », et de ce fait, ce qu’elle raconte, c’est l’histoire des hommes face à la violence et à la répression.

Un essai, une réflexion

La plume travaillée et poétique, qui parvient néanmoins à maintenir une sensation d’instantanéité de la pensée, nous plonge dans un récit qui retrace heure par heure la nuit d’Ananda Devi dans la prison. Elle déambule comme un fantôme, de cellule en cellule, et s’interroge sur les horreurs perpétrées dans l’Histoire.
Ce n’est pas un récit destiné à transporter le lecteur dans un torrent d’émotions, mais plutôt un texte fort, une réflexion sur notre société. Ananda Devi s’interroge : comment André Devigny, qui a résisté à l’occupation et au fascisme pendant la Seconde Guerre mondiale, a-t-il pu par la suite aller combattre en Algérie en tant qu’officier français ?
Elle ne cherche pas ici à juger, mais bien à comprendre. Comment en est-on arrivé là ? Comment cela va-t-il finir ? Et surtout, la question que tout le monde se pose : Qu’aurions-nous fait face à cette violence ? Que faisons-nous déjà ?

« […] pour chaque Devigny, Moulin, Leynaud, Clairouin, il y avait des milliers d’autres qui préféraient se taire. Ne l’oublions pas. »

La nuit s’ajoute à la nuit d’Ananda Devi, Stock, 2024.