© Wioson Jiang

Édito Novembre 2020

Novembre nous voilà !

Et qui dit novembre dit forcément prix littéraires. Cependant, cette année est particulière puisque comme vous le savez tous, nous sommes confinés ! Ce Coronavirus nous poursuivra donc jusqu’à la fin 2020 … Quel malheur. Et bien sûr, une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule. L’annonce du grand gagnant du prix Goncourt a été reporté ! Elle devait se faire le 10 novembre mais a été repoussée par solidarité avec les librairies, en attendant leur réouverture. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Donc finalement, la réponse se fera ce 30 novembre prochain. Les 4 auteurs encore en lice vont devoir prendre leur mal en patience !

Et si aujourd’hui, les pronostics autour du vainqueur sont au cœur du débat, pendant longtemps, un nom était sur toutes les lèvres : Emmanuel Carrère. Dire que son retour sur le devant de la scène était attendu est un euphémisme. Il s’agit de la première publication d’Emmanuel Carrère depuis Le Royaume, en 2014, qui avait reçu un accueil critique élogieux. Après six ans d’absence – une éternité dans le monde actuel de l’édition – Carrère revient donc cette année avec Yoga. Phénomène de cette rentrée littéraire, il y raconte sa dépression puis l’internement à Saint-Anne, avant le salut trouvé grâce à la méditation. Sans surprise, le roman se hisse à la troisième place des ventes une semaine après sa parution (le 27 août 2020). On lui promettait le Goncourt. Mais le 6 octobre le chouchou est évincé de la course. Les raisons de ce revirement ? Impossible de le déterminer. Mais on peut tout de même se questionner sur cette décision faisant suite au scandale qui a éclaté autour du roman.

Entre récit autobiographique et fiction, l’ouvrage laisse le lecteur perdu entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Et c’est justement là, le cœur du problème. Un problème qui est aussi en réalité davantage d’ordre personnel que littéraire. En plein conflit juridique, l’ex-femme de l’auteur, Hélène Devynck, dénonce sa présence dans le roman. Elle déplore d’autant plus toutes les inexactitudes et les modifications du récit par rapport à la réalité (en particulier un séjour de plusieurs mois culminant dans le processus de guérison de Carrère qui n’aurait en vérité duré qu’à peine une semaine). Yoga est une « ellipse narrative » pour sa femme, où les faits sont remaniés et arrangés en sa faveur par Carrère, le contraire de la réalité en somme. Des revendications qui tueront les chances de Yoga au niveau des prix littéraires.

Ce phénomène n’est pas nouveau. Ce n’est ainsi pas la première fois que les scandales d’ordre privé éclaboussent un auteur, et par extension son œuvre. Néanmoins, ils remettent en question leur prétention aux prix littéraires. Une question subsiste alors : jusqu’où la vie privée d’un auteur est-elle juge du contenu et de la qualité d’un roman ? Jusqu’où peut-elle influencer la réception d’une œuvre ? Finalement, n’en revient-on pas à cette question familière, tant actuelle : faut-il séparer l’œuvre de l’artiste ?

Aucun prix ne s’est officiellement positionné sur le débat de Yoga. Mais finalement, le Goncourt, en éliminant l’ouvrage de sa sélection, n’a-t-il pas officieusement transigé ?