Comment se fait-il que Grégoire Bouillier puisse éprouver face aux sublimes Nymphéas de Monet, cette œuvre phare de l’impressionnisme, une angoisse saisissante et morbide ? Qui donc remettrait en question le statut de chef d’œuvre de ces panneaux précieusement exposés au musée de l’Orangerie sur lesquels le monde entier semble s’accorder ?
C’est en cette rentrée littéraire de 2024 que Le syndrome de l’Orangerie, de Grégoire Bouillier, publié chez Flammarion, a capté l’attention des amoureux de l’histoire de l’art.
Abordant d’une façon toute particulière les sombres secrets que Monet a pu camoufler dans ses Nymphéas, l’alter ego de l’auteur, le détective Bmore, reprend du service après Le cœur ne cède pas (2022) suite à un malaise bien réel de la part de l’écrivain.
Une plume déroutante mais pertinente
Dans ce récit d’autofiction, les mots se mêlent et s’entremêlent, les réflexions se bousculent, les souvenirs du narrateur et les faits historiques s’épousent et s’accouplent pour donner naissance à un chaos littéraire fascinant, parfois sans queue ni tête, et pourtant extraordinairement frappant. À demi-mots, Bouillier érige des ponts entre des faits ancrés dans l’inconscient collectif que l’on ne prend plus la peine de questionner – les Nymphéas sont magnifiques et regorgent de vie, par exemple – et nos comportements actuels : désintérêt, ignorance et manque de curiosité. Comme ses multiples prédécesseurs, l’auteur endosse le rôle d’intellectuel et s’appuie sur un objet d’art d’une toute autre époque afin d’appréhender, de dénoncer, sa réalité contemporaine.
« Ce qui fait que tous les spécialistes concluent que les Nymphéas sont un « hymne à la paix ». Ben voyons. Toujours des mots ronflants, des bons sentiments, de belles idées, l’empire du Bien, nanani et nananère. Ainsi naissent les légendes (livrées clés en main). Ainsi se répand l’ignorance. »
Les Nymphéas : une échappatoire
Imitant Kafka qui, à l’aube de la Première Guerre Mondiale inscrivait dans son journal « après-midi piscine », Grégoire Bouillier puise dans son caractère obsessionnel la force de vivre au travers d’un mystère à résoudre. Loin du déni que l’on embrasse tous, le récit nous place face aux horreurs de notre temps tout en ayant la bonté de ne pas en faire l’intrigue principale. Comme une échappatoire, un no man’s land entre la désinformation et les crises existentielles qui découlent d’un trop plein d’émotions face à l’actualité assommante, les Nymphéas se transforment en un parfait trou noir où peut s’engouffrer notre attention, le temps d’une lecture, sans pour autant tourner le dos à la vérité. « L’avenir n’a plus aucun avenir qui fasse envie et moi, tandis que la peur cesse d’être une émotion pour devenir un putain de lien social. Tandis que les pulsions de mort se déchaînent et triomphent et, comme de juste, la Bourse ne s’est jamais aussi bien portée, moi, je parle de Monet. Je parle des Nymphéas de Claude Monet. » Le syndrome de l’Orangerie promet au lecteur une expérience qui reflète véritablement l’essence même de la vie humaine : passion, ennui, interrogation, angoisse, rire, incompréhension, poésie. C’est avec brio que Bouillier relève le défi de produire une œuvre qui résonne et résonnera encore longtemps dans l’inconscient de ceux qui ont osé braver ses divagations et plonger dans son récit.