Des lettres à la fiction, Anna Funder s’est plongée dans la vie d’Eileen O’Shaughnessy (Crédits photo : Designed by Freepik, http://www.freepik.com/)

L’Invisible Madame Orwell : un succès critique peu récompensé

Se faire une place au sein de la masse des livres de la rentrée littéraire n’est pas chose aisée, surtout quand les romans dominent l’événement. Parmi les 459 ouvrages de cette rentrée littéraire 2024, un livre hybride entre essai et fiction a tout de même connu une certaine reconnaissance de la part des médias et de la critique. Paru en septembre 2024 aux éditions Héloïse d’Ormesson, L’Invisible Madame Orwell d’Anna Funder s’attache à redonner une voix à Eileen O’Shaughnessy, l’épouse de George Orwell, longtemps restée dans l’ombre du célèbre écrivain. L’ouvrage propose une réflexion sur l’invisibilisation des femmes dans l’histoire littéraire, un sujet qui résonne avec d’autres publications de cette année, notamment Julia de Sandra Newman, réécriture de 1984 du point de vue du personnage féminin.

Un premier accueil dans la presse anglophone

Avant sa parution en France, Wifedom, la version originale de l’ouvrage, avait déjà suscité des réactions partagées dans la presse internationale. Le New York Times Book Review a salué la « performance virtuose » d’Anna Funder et sa manière de croiser autobiographie et fiction, tandis que le Washington Post a exprimé des réserves sur cette approche hybride. En Angleterre, le Guardian a publié deux critiques : l’une élogieuse sur la réhabilitation d’Eileen O’Shaughnessy, l’autre plus sceptique sur la structure du livre. En Australie, ArtsHub l’a qualifié de « chef-d’œuvre de non-fiction », alors que le Daily Mail a relayé des critiques assez virulentes de la part du fils adoptif d’Orwell, estimant que Funder exagérait l’effacement d’Eileen.

Une reconnaissance par les prix littéraires français

En France, L’Invisible Madame Orwell a été sélectionné pour plusieurs prix littéraires, dont le Prix du Roman Fnac et le Prix Femina dans la catégorie « roman étranger ». Il a également figuré parmi les finalistes du Prix Médicis Essai, avant de remporter le Prix du Meilleur Livre Étranger en non-fiction. Cependant, malgré cette distinction, la couverture médiatique autour de ce succès est restée relativement discrète. La presse française a réservé un accueil globalement positif au livre, saluant l’enquête rigoureuse de Funder et la manière dont elle met en lumière le rôle d’Eileen O’Shaughnessy. ActuaLitté a publié deux avant-critiques enthousiastes, insistant sur la pertinence de l’analyse de l’autrice. 20 Minutes a apprécié la démonstration percutante de Funder, tandis que Le Vif a qualifié le livre comme étant « riche de sources et d’échappées fictionnelles ».

Le parallèle avec Julia de Sandra Newman

La comparaison avec Julia est fréquemment revenue dans les médias du fait de la même volonté de faire entendre les voix féminines occultées par Orwell. Alors que Le Monde et Le Nouvel Obs ont placé les deux ouvrages sur un pied d’égalité en tant que réinterprétations féministes de l’univers orwellien, certains critiques ont préféré le roman de Newman, jugé plus subtil et inventif. L’Express et Lire Magazine ont été bien plus virulents à l’encontre du livre d’Anna Funder, lui reprochant d’être un réquisitoire excessif contre Orwell.

Un succès critique, mais pas commercial

Côté lecteurs, L’Invisible Madame Orwell a obtenu une note moyenne de 3,81/5 sur Babelio et de 4,2/5 sur Amazon, avec des critiques élogieuses sur la pertinence du sujet et la documentation, mais des réserves sur les longueurs et la subjectivité du récit. Malgré une réception critique globalement favorable, le livre n’a pas rencontré un grand succès commercial en France. Selon L’Express, seulement 1 150 exemplaires avaient été vendus à la mi-décembre 2024, un score modeste malgré le Prix du Meilleur Livre Étranger. Cela illustre la difficulté pour un texte hybride de s’imposer au sein de la masse des romans de la rentrée littéraire, qui attirent généralement davantage. Ainsi, malgré la démarche louable d’Anna Funder, Madame Orwell aura malheureusement eu du mal à sortir de l’ombre.

 

L’Invisible Madame Orwell d’Anna Funder, Éditions Héloïse d’Ormesson, 2024.