Alors que la rentrée littéraire s’achève en douceur, nous souhaitions revenir avec vous sur les enjeux de publication d’un premier roman. Parmi les 321 romans français de cette rentrée, ils étaient 74 à tenter leur chance avec des récits aux thèmes aussi divers que l’exil (Adieu Tanger, Salma El Moumni), le rapport au corps (Dès que sa bouche fut pleine, Juliette Oury) et l’Histoire nationale (Vous ne connaissez rien de moi, Julie Héraclès). Mais le vœu d’écriture n’est rien comparé à l’épreuve semée d’embûches que représente la publication. Lumière sur un processus peu connu et souvent idéalisé…
Se faire publier…
Comme le dit Clément Camar-Mercier, qui publie en août Le Roman de Jeanne et Nathan, écrire, « c’est du boulot ». Alors qu’en 2022, 90 premiers romans voyaient le jour lors de la rentrée littéraire, en 2023, on observe une baisse de 18% des primo-romanciers. En effet, lorsque éclot une idée, encore s’agit-il de la mettre en mots. Pour certains, cela se traduit par l’écriture d’un ou plusieurs romans « crash test ». Des récits qui ne verront jamais la lumière du jour mais qui participeront pourtant à la consécration de l’auteur, puisqu’ils lui procureront l’espace d’apprentissage par excellence. Pour Nicolas Mathieu, dont le premier roman Aux animaux la guerre paraît en 2014, il s’agit de rédiger ce qu’il décrit comme une « purge narcissique », un moyen de sortir de soi pour mieux toucher du doigt l’objet de son écriture.
Le succès d’une publication dépend également de la relation qu’entretiennent auteur et éditeur. Celui-ci a-t-il été bien ciblé, les interactions sont- elles harmonieuses, vives de cette énergie créatrice si bénéfique ? Un premier roman est bien souvent gage de publicité pour l’éditeur, cependant, chez Verticales, maison d’édition parisienne, on aborde les choses de manière différente. Si le premier roman permet l’ajout d’un nouvel auteur à son catalogue ainsi qu’une présence renouvelée sur la scène médiatique, c’est aussi, pour l’éditeur, un pari que l’on engage sur le long terme. Nul besoin de forcer les choses.
Enfin, plusieurs opportunités s’offrent à qui souhaite écrire. On pense aux ateliers, résidences et diplômes d’écriture créative qui fleurissent un peu partout. Mais aussi au métier d’agent littéraire qui, à l’origine très présent dans le monde anglo-saxon, se développe de plus en plus dans l’hexagone. Violaine Huisman, autrice de Fugitive parce que reine (2019) mentionne l’importance symbolique que revêt l’envoi de manuscrits à un éditeur soulignant ainsi son choix de faire appel à un agent, comme intermédiaire. La relation à l’éditeur est alors désacralisée, rapportée à une transaction professionnelle, bien loin de déterminer la valeur humaine de l’aspirant romancier, son identité et sa légitimité en littérature. Sur le plan financier, n’oublions pas qu’un agent sera toujours de bon conseil, puisque parfois plus au fait des réalités du milieu que l’écrivain lui-même.
S’il est un premier roman qui s’est particulièrement démarqué aux yeux de la presse, c’est La Colère et L’Envie d’Alice Renard. De par sa jeune et singulière plume, l’autrice nous conte l’épopée silencieuse d’Isor, une jeune fille de 13 ans dont l’existence même est transgression. Récompense ultime ; le roman est couronné du prix Méduse et du prix de la Vocation. Le milieu de l’édition se présente donc telle une arène compétitive où chacun tente de se démarquer de ses semblables. Qu’en est-il alors de cette reconnaissance médiatique tant attendue ?
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…et tenir sur la longueur
Avant même que le livre n’atteigne les étagères des vendeurs, la création d’un kit de presse exhaustif s’avère impérative. Une biographie d’auteur percutante, des extraits de critiques anticipés, des informations détaillées sur l’ouvrage, des visuels de qualité… Cet arsenal doit être aisément accessible sur le site web et les réseaux sociaux tant de l’éditeur que de l’auteur, prêt à être diffusé aux journalistes et blogueurs littéraires de renom.
Car en effet, les médias en ligne et les influenceurs sont des partenaires précieux dans la promotion d’un livre. Une présence dynamique sur les réseaux par l’auteur entraîne une plus grande implication des lecteurs et des critiques envers son œuvre. Ces critiques littéraires doivent être gardés en ligne de mire à tout instant, car une critique élogieuse dans un média respecté peut propulser l’ouvrage sous les feux des projecteurs.
Cette danse entre l’auteur et les médias doit cependant s’inscrire dans une démarche raisonnée. Des apparitions remarquées aux événements littéraires sont autant d’occasions de rencontrer des journalistes, des éditeurs et d’autres auteurs auxquels présenter le livre de manière captivante en tant qu’auteur néophyte. Des interviews, qu’elles soient données à la radio, à la télévision ou sur des podcasts, accroissent l’intérêt autour de l’œuvre émergente. Mais ce qui propulse un nouvel auteur sur le devant de la scène, c’est incontestablement la force des prix et des distinctions littéraires. Gagner ou être simplement nominé peut attirer l’attention de tous les médias et consolider la réputation de l’auteur en tant qu’écrivain talentueux. Veiller sur elle, de Jean-Baptiste Andrea (prix Goncourt 2023) en est un parfait exemple.
Cependant, le chemin après le premier roman n’est pas sans ses propres défis. Selon une étude de Bertrand Legendre et de Corinne Abensour, 21% des primo-romanciers écrivent un second roman qu’ils ne publieront pas tandis que 11% d’entre eux mettent complètement fin à leur carrière littéraire. En effet, écrire un deuxième roman se révèle souvent plus complexe. Comme le souligne Annie Ernaux dans « La Place du lecteur » (1997), c’est à ce moment que des « lecteurs invisibles se penchent sur l’épaule de l’auteur alors qu’il se met au travail. » L’anonymat dans lequel ce dernier baignait lors de la rédaction de son premier roman n’est plus que poussière. Ainsi, établir une relation de confiance avec son éditeur devient crucial pour surmonter cette pression croissante et maintenir la flamme créative.
Faire son premier pas dans le monde de l’écriture, c’est donc une chose – faire le second, c’en est une autre. S’il y a bien une leçon à retenir de l’expérience de tous ceux que nous avons pu citer, c’est que la reconnaissance médiatique, d’inébranlables soutiens, et surtout une ténacité à toute épreuve, sont autant de clés quasi-indispensables pour passer d’auteur de roman à auteur de romans.
Et pourtant, rien n’est garanti : combien d’auteurs primés au Goncourt, passionnés et bien entourés, ont néanmoins vu la flamme littéraire qui les animait brûler en vain ? Pour un Pascal Quignard ou un Pierre Lemaître, combien de Jean Carrière, d’Alexis Jenni ? Il faut bien le dire : l’univers des auteurs de romans est teinté d’une magie qui relève parfois du jet de dés. Mais, malgré le risque, la flamme littéraire de ceux qui, après un premier pas – en réalité plus qu’un pas un véritable saut périlleux – trouvent où puiser la volonté et l’énergie d’accomplir le second, est une flamme qui ne s’éteindra pas de sitôt.