© Léane Leclercq

Rentrée littéraire 2019 – Temps fort de l’automne pour les libraires angevins !

Pour cette nouvelle rentrée littéraire, M. Nicolas Auvinet, directeur adjoint à la librairie Richer répond à nos question sur ce moment-clé de l’année.

 

À partir de quel moment commence pour vous la rentrée littéraire ? Avant les vacances ? Et comment vous tenez-vous informés de ce qui se passe ?

Nicolas Auvinet : Pour moi, ça commence au mois de mai. C’est le moment où nous rentrons en contact avec les maisons d’édition. Nous allons sur Paris rencontrer différentes maisons d’édition pour qu’elles nous fassent part de leur rentrée, de leur catalogue. Elles nous présentent aussi certains auteurs qui sont là pour nous faire une lecture générale ou la lecture de leur livre.

Comment ressentez-vous la rentrée littéraire? Est-ce un moment particulier ?

N. A. : Pour nous c’est toujours un moment très important dans la vie d’un libraire. Notre rentrée à nous est à la fois la rentrée scolaire mais aussi la rentrée littéraire. Tous les libraires, surtout en littérature, sont partie prenante de cet événement parce qu’on reçoit tous les SP (services de presse) des éditeurs pendant tout l’été : on se bagarre déjà pour avoir les livres et les auteurs que nous souhaitons lire pendant les vacances d’été. C’est un moment très excitant.

524 romans sont présentés cette année lors de la rentrée littéraire. Un chiffre énorme pour un libraire. Combien de ces livres lisez-vous en réalité ?

N. A. : Nous les lisons tous, évidemment ! (Rires) Non non, ce serait un affreux mensonge… Nous sommes sept libraires à en lire de 10 à 15 pendant l’été.

Et comment faites-vous le choix des livres à lire ?

N. A. : On essaye de se répartir le travail presque dans la proportionnalité de cette rentrée entre les premiers romans, les romans étrangers, et la littérature française. Celle-ci représente presque 80% des choix que nous allons faire. Ensuite, soit nous sélectionnons des auteurs que nous suivons pour voir comment évolue leur écriture, soit des premiers romans, des titres, des sujets qui nous intéressent. Nous agissons comme n’importe quel lecteur dans une librairie : on se met à la place du client qui découvre nos titres sur nos tables.

Et par la suite, comment décidez-vous des romans à mettre en avant ?

N. A. : On se réunit tous et on fait part au groupe de nos lectures. À partir de là vont se dégager les livres phares. On va presque se convaincre les uns les autres : c’est comme dans un comité de lecture. On se dit : celui-ci j’y crois ! Celui-ci va avoir un prix ! Bon moi je crois à plein de choses et je me plante toujours sur les prix, j’ai rarement misé sur le bon cheval… Mais n’empêche que j’y crois et que c’est les différents jurys qui ont tort. (Rires) Blague à part, il y a déjà cet écrémage : le libraire définit quel livre va être défendu et mis sur les rayons. 

Quels sont vos coups de coeur personnels de cette année ? Est-ce qu’il y en a un qui est sorti du lot ?

N. A..  : Oui, il y en a plusieurs, c’est compliqué ! Le Sorj Chalandon : même s’il diffère un peu de ce qu’il a pu faire, je suis toujours sensible à sa plume et à son côté un peu foudroyant. Le premier roman (qui pour moi n’en est pas un tant il paraît habitué à la maîtrise de l’écriture en soi), c’est Alexis Michalik (Loin) : il m’a transporté ; à la fois simple à lire, et qui raconte une vraie histoire, même si on ne s’extasie pas sur l’écriture. J’ai beaucoup aimé le Jérôme Attal (La Petite Sonneuse de cloches) qui d’année en année se bonifie et part moins dans les choses déjantées pour nous raconter cette fois-ci la jeunesse de Chateaubriand et son épisode londonien ; il parle comme personne d’amour, on peut en tirer un manuel de séduction extraordinaire.

Et quels sont vos tops vente ?

N. A. : Le Nothomb, le Tesson, le Chalandon qui tient aussi bien la forme, tout ça en littérature. 

Et donc, selon vous, à quel point les romans présentés à la rentrée littéraire et sélectionnés par des prix influencent les ventes ?

N. A. : Les prix influencent énormément les ventes. Mais ça dépend quel prix. Le prix Goncourt, évidemment. Le prix Renaudot et le prix Femina aussi. Je dirais aussi que ça dépend du livre. Une fois j’ai misé sur Alexis Jenni et L’art français de la guerre, mais c’était un livre compliqué ; et les ventes s’en ressentent un peu. Parfois, on a beau donner un prix, l’accès à la lecture pour le public est un peu plus complexe. Donc là, effectivement, les chiffres ne s’en ressentent pas. Mais de plus en plus on voit quand même que les prix ont un rôle à jouer dans la vente. Tout a explosé avec le Lemaître (Au revoir là-haut) qui est sorti et qui se rapprochait d’une littérature un peu plus populaire. De ce fait, on raccorde un peu plus les lecteurs dans l’actualité.

Comment gérez-vous un espace de présentation restreint pour mettre en valeur un maximum de livres ? Est-ce que vous changez vos techniques marketings pour les livres qui gagnent des prix ? Est-ce que vous mettez plus en avant les lauréats ? 

N. A. : Oui naturellement. Nous utilisons les bandeaux qui nous sont envoyés par les éditeurs eux-mêmes. Et, lorsque tous les prix sont décernés, on a une petite table “prix”. On peut aussi faire une vitrine. Ça s’arrête là. Après l’aspect médiatique est suffisamment là pour soutenir la vente. On préfère mettre en avant de petits éditeurs plutôt que s’acharner sur des prix qui vont de toute façon se vendre.

Dernière question, comment est-ce que votre concurrence (autres librairies, centres culturels, ventes en ligne)  influence votre rapport à la rentrée littéraire ? Est-ce qu’il y a une compétition ? 

N. A. : Non, il n’y a pas de compétition ; encore moins avec les ventes en ligne. Je dirais que la compétition se fait sur les auteurs que nous pourrons faire venir à la librairie. Et ça va de pair avec le combat qui ne se concentre pas sur la rentrée littéraire : le combat contre les ventes en ligne. Amazon, pour ne pas le citer, est un outil extraordinaire ; ils ont une base bibliographique énorme. Ils mettent tout, mais ils ne trouvent rien. L’éditeur, lui, trouve, et par la suite le libraire aussi ; nous sommes là pour défendre. Ça passe par le conseil, par des rencontres avec les auteurs, par ce que nous faisons par rapport à la rentrée littéraire, notamment des soirées. Nous avons fait une soirée qui rencontre d’année en année un succès formidable, il y a une centaine de personnes qui vient pour une nocturne : et ce fameux débat que nous avons eu là, nous le faisons avec le public. Nous faisons une sélection en amont et nous avons chacun cinq minutes pour parler de notre livre, ce qui ne gâche rien à la fête. Après on ne fait pas de tableau comparatif parce qu’on sait que chacun a les mêmes sorties que nous : on n’a pas forcément les mêmes coups de cœur, donc la différence se fera dans la façon d’en parler et dans la façon de véhiculer cette passion. Du point de vue des statistiques et des chiffres, j’espère que mes concurrents s’en sortent bien parce que si eux s’en sortent, alors nous nous en sortirons aussi. 

 

Pour visionner l’interview avec N. Auvinet : https://youtu.be/bij2MrU9dlY

 

Interview réalisée par Clotilde de Champeaux, Alexis Hay, Chloé Lecardonnel et Léane Leclercq