Sorti en 2019 mais écrit en 2016, Les Choses Humaines est un roman de l’ère #MeToo. Divisé en trois parties : avant / pendant / après, ce roman fait le pari de nous placer du point de vue de l’accusé. Nous suivons l’affaire avec les Farel, sans nous investir émotionnellement. Karine Tuil ne prend pas partie, pose les faits, les examine. Le ton peut être quelques fois journalistique mais assurément juridique. Cette écriture juridique, que l’on pourrait qualifier de froide, ne porte pas de jugement et laisse le soin au lecteur de faire son propre raisonnement, tel le juré regardant le déroulement des faits sur le côté.
Au fil de notre lecture nous apprenons à connaître les Farel, la noirceur de leur couple, l’hypocrisie de leur vie, et le patriarcat dans lequel a grandi Alexandre leur fils, futur agresseur. La subtilité du récit est elle qu’on en vient à se demander si Alexandre lui-même ne serait pas la victime de cette culture de la perfection. C’est justement arrivée à ce point de non-retour que Karine Tuil réussit à porter son texte avec brio. Cet instant où l’on se dit que la vie de ce jeune homme promis à un brillant avenir serait gâchée par cette affaire. C’est à ce moment exact que ce récit de fiction se mêle à une réalité bien plus sombre. On ne peut, bien sûr, que penser aux mots du père de Brock Turner, élève de Stanford accusé d’avoir violé Chanel Miller, une jeune fille de 22 ans, qui déclare que « 20 minutes d’actions sur une vie de 20 ans » ne méritaient pas une peine trop « dure » à l’encontre de son fils »[1].
Cette affaire a fait couler énormément d’encre en 2016, et Karine Tuil enfonce le clou dans cette vérité froide et implacable : la culture du viol est ancrée dans n’importe quelle conscience humaine, dans cette société qui a été et est toujours dirigée par un patriarcat implacable.
Les Choses Humaines est un roman qui ne fait pas scandale mais qui nous plonge dans les profondeurs du scandale. C’est une histoire de sexe, de pouvoir, et d’image, des thèmes qui malheureusement font tourner notre société depuis la nuit des temps.
[1] Figaro M., Viol à Stanford : une affaire devenue le symbole de la lutte contre les agressions sexuelles, http://madame.lefigaro.fr/societe/viol-a-stanford-laffaire-entre-les-mains-des-politiques-130616-114724, consulté le 16 décembre 2019.
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