© Patrice Normand

Djaïli Amadou Amal : l’improbable ascension d’une inconnue

Dire que l’on attendait avec ardeur Les impatientes de Djaïli Amadou Amal serait un euphémisme. Au contraire, l’ouvrage était bien parti pour rester dans l’ombre des 510 autres sortis pour la rentrée littéraire.

Premier roman publié en France de Djaïli Amadou Amal, l’auteure est une inconnue. Elle n’en est pourtant pas à ses premiers essais. Écrivaine camerounaise, elle a déjà fait ses preuves sur sa terre natale grâce à l’écriture de deux romans traitant de son sujet phare : la condition des femmes dans l’extrême nord du Cameroun, encore trop souvent déscolarisées pour être mariées. Un sujet qu’elle connaît bien puisqu’elle-même en a été victime, mariée de force à l’âge de 17 ans. Djaïli Amadou Amal lutte depuis plusieurs années contre ces pratiques.

Les impatientes apparaît comme la synthèse de son œuvre militante : à travers le destin de trois femmes, elle aborde tour à tour la question du consentement, des violences maritales, de la polygamie et des dérives de la tradition.

Sa victoire au prix Orange du Livre en Afrique lui permet de se faire repérer par la maison d’édition Emmanuelle Collas, qui offre au livre une seconde vie : le titre est changé (autrefois Munyal, les larmes de la patience), le texte remanié, avant de finalement être publié en France le 2 septembre 2020. L’ouvrage est cependant rapidement éclipsé par ceux d’autres auteurs renommés africains alors en pleine promotion (Gauz, Fiston Mwanza Mujila). L’annonce en septembre de sa sélection au prix Goncourt lui offre une première chance d’exister médiatiquement. Mais là encore, Les impatientes fait pâle figure face aux favoris. Le nom d’Emmanuel Carrère est de tous les articles, celui de Djaïli Amadou Amal, beaucoup moins. C’est à peine si elle est évoquée. Une situation se répétant lors de l’annonce de la seconde sélection du Goncourt : l’éviction du grand favori Emmanuel Carrère fait grand bruit. «Emmanuel Carrère évincé de la course » titre avec amertume le Nouvel Obs. Les débats sont vifs autour de cette décision, la polémique omniprésente. Difficile encore pour Les impatientes de se faire une place.

Il faut donc attendre la dernière sélection du Goncourt pour que l’ouvrage réussisse enfin à attirer l’attention de la presse française, et ainsi du public. Il a déjoué tous les pronostics : personne n’avait misé sur ce premier roman d’une inconnue, édité par une petite maison indépendante. Son arrivée aussi loin fait de lui une « surprise », un « ovni » littéraire qui a surpassé des auteurs déjà reconnus (Camille Laurens, Lola Lafon).

Dès novembre 2020, Les impatientes occupe progressivement l’espace médiatique. Si jusqu’alors seuls les médias africains si étaient intéressés, l’ouvrage devient l’apanage de tous les journaux. Quotidiens littéraires spécialisés, presses générales et presses people, tous s’en emparent (sauf exception notable de Télérama). Sa victoire au prix Goncourt des Lycéens confirme sa popularité. Les articles abordent le roman de la même manière : pour l’universalité de son sujet militant et féministe. Un consensus qui pourtant questionne. La critique de l’ouvrage est quasi-inexistante. Seuls certains osent une petite pique « Les impatientes peut sembler un peu trop démonstratif » dira le Monde. À croire que la critique est timide face à un sujet si édifiant et craint des retombées houleuses si elle s’aventure en terrain hostile.

Le courage est donc au Cameroun, lui qui est bien plus critique à l’égard de son auteure, et offre un regard plus nuancé sur Les impatientes, qui n’est ainsi plus réduit à son unique sujet. Une ouverture permettant un questionnement nécessaire sur la primauté du militantisme sur le style : « Est-ce qu’il suffit aujourd’hui d’écrire un roman sur une cause pour mériter un prix littéraire » ?

 

La réponse – peut-être – ici : « Les impatientes » : le manifeste des sans-voix.