©Magali Lecler

Laure Murat enquête sur son passé grâce à Proust

Le 23 août 2023, le dernier essai de Laure Murat : « Proust, roman familial » est paru aux éditions Robert Laffont. Derrière un titre plutôt curieux qui laisse le lecteur pensif, Laure Murat nous livre le résultat d’un travail mené sur cinq années.

Née en 1967 à Neuilly-sur-Seine, Laure Murat est une auteure, historienne et enseignante chercheure au destin hors norme. Descendante de l’empereur Napoléon Bonaparte par son père et issue de la royauté française par sa mère, l’auteure a grandi sous les convenances et les codes aristocratiques.
En rupture avec cet univers mondain, elle décide de s’émanciper à l’âge de 19 ans, coupant tout contact avec sa famille. A 20 ans, elle lit pour la première fois À la recherche du temps perdu de Proust. C’est une révélation.
Aujourd’hui historienne et diplômée de Lettres Modernes, elle est installée à Los Angeles où elle enseigne les Lettre à l’UCLA depuis 2006.

Dans son essai Proust, roman familial, elle nous confie les secrets de son enfance aux abords de deux sujets centraux : l’aristocratie et son homosexualité.

« Que se passerait-il si Astérix goûtait la potion magique dans laquelle il est tombé enfant ? »
Proust a changé sa vie, du moins elle affirme qu’il l’a « sauvé » en lui permettant de voir le monde « sous un autre jour ». C’est, dit-elle, « un plongeon dans le bain de ses origines » qu’elle compare à la scène culte du personnage Obélix qui tombe dans la marmite de potion magique alors qu’il est enfant : il ne peut faire autrement que de suivre les recommandations qui lui sont dictées.
Au-delà d’une analyse pointue de La Recherche de Proust, nous sommes face à un véritable éloge du « proustige » de ce dernier. La littérature et les mots ont ainsi, à une époque différente et pourtant semblable pour l’aristocratie, permis de dénoncer une réalité dans une certaine mesure. Révéler une réalité chorégraphier pour mieux critiquer des inégalités de convenances.
Je pense particulièrement au « sujet minoritaire » dont Laure Murat parle à mainte reprise, perçu par l’aristocratie comme une « menace » qui ne peut être acceptée au risque de nuire à l’équilibre en place.
Cela interroge sur la possibilité de s’émanciper d’un cadre social qui nous élève et qui, par la même occasion, peut nuire plus encore à l’identité d’une personne, venant parfois jusqu’à détruire des liens familiaux au profits de liens sociaux.

Finalement, ces codes sociaux sont-ils une fatalité ou bien est-ce une forme de convenance ? Est-ce une façon de survivre au péril de son « Moi » intérieur ?
En effet, dans Proust, roman familial, Laure Murat nous révèle son sentiment de lire la vie de ses ancêtres dans La Recherche. Néanmoins, les années ont passées, les normes sociales et le régime politique en place ont évolué, rien ne semble pareil et pourtant tout correspond.
Derrière ce que l’essayiste nomme « l’érotique de la clandestinité », il s’agirait de construire de nouveaux codes face aux normes aristocratiques afin de survivre dans un milieu social exigeant. C’est ce que Proust a fait en laissant son « Moi » s’exprimer tout en écrivant le récit d’une réalité fictionnelle. Dans un autre sens, il a su vivre son homosexualité plus ou moins librement, alors même que la société en avait eu vent, sans pour autant être considéré comme un « sujet minoritaire ».

En outre, Proust, roman familial apparait comme un essai bien plus profond qu’il peut sembler à première vue. L’analyse de Laure Murat s’appuie autant sur les bases d’une enquête au cœur de sa généalogie personnelle que sur la qualité d’écriture de Proust dans À la recherche du temps perdu pour mettre en mots une réalité mondaine qui se veut hermétique, dont les coulisses renferment un tout autre monde.