Le festival de science-fiction Les Utopiales s’est déroulé cette année du 29 octobre au 1er novembre 2022 à la Cité des Congrès de Nantes et a accueilli 108 000 visiteurs.
« On ne peut pas définir la science-fiction, car elle traduit toujours le regard intime de l’auteur. » Olivier Paquet, qui a sorti Composite en 2022, est intervenu lors d’une conférence sur les limites de la science-fiction lors de la première journée des Utopiales, le samedi 29 octobre. De quoi poser les bases de cette nouvelle édition du festival nantais, sous le signe des limites.
Étaient également présents Serge Lehman, écrivain de Métropolis (2014), Hervé de la Haye chercheur spécialiste des séries Ulysse 31 et Les Mondes engloutis et enfin, Guilhem auteur et illustrateur notamment de la trilogie Les trois fantômes de Tesla (2022). Ensemble, ils se sont demandé s’il n’y avait pas une question d’époques et/ou de génération. Aujourd’hui, les limites ne seraient-elles pas dépassées ?
Les organisateurs, eux, ne se sont plus posé de limites après une édition 2021 hybride avec des jauges de public réduites en raison du Covid-19. Pour 2022, ils ont vu les choses en grand avec une centaine de conférences, 240 intervenants, un espace librairie bien garni, des films de haute volée. Les 108 000 visiteurs présents ont notamment pu rencontrer Rintarô, l’un des créateurs d’Albator, ou plonger dans le labyrinthe imaginé par le dessinateur de bande dessinée Marc-Antoine Mathieu.
Les Utopiales sont surtout l’occasion de rencontrer des auteurs de science-fiction de tous horizons pour des dédicaces ou de discuter avec des éditeurs des nouveautés à venir.
Gabriel Laurenceau travaille pour les éditions Actu SF à Chambéry, qui ont aussi récemment ouvert une librairie dédiée à l’imaginaire, Le Minotaure . Avec ses collègues, il tient le seul stand d’éditeur sur le festival, Actu SF ayant un partenariat depuis 2010 avec Les Utopiales, qui consiste notamment à éditer un recueil de nouvelles des auteurs invités sur le thème annuel. Actu SF publie 40 à 50 ouvrages par an. Gabriel estime que le festival propose à chaque édition un thème intéressant, déclinable en de multiples acceptions, toujours en phase avec les problématiques actuelles. Selon lui, le thème de cette année ne déroge pas à la règle.
Les limites se retrouvent constamment sur le chemin des auteurs. Ainsi, Anne-Sophie Devise, autrice de Biotanistes paru chez Actu SF en mars dernier, s’est livrée sur son ressenti par rapport à cette question, et sur l’importance de pouvoir transgresser les règles. « La limite, c’est celle qu’on met entre les gens, c’est énervant. Ce qui est positif, c’est que la limite est une règle qui ne demande qu’à être contournée, donc qui demande de la créativité. Je ne savais même pas que je faisais de la SF, plaisante l’artiste. Pour moi, c’était de la fantasy. Me classer dans la SF, c’est surtout un argument marketing, car cela permet de toucher une autre tranche d’âge. Cela implique tout de même qu’il y ait des codes à respecter : on peut les transgresser, mais il faut répondre aux attentes des lecteurs. »
De son côté, l’autrice Katia Lanero Zamora, qui a publié chez le même éditeur Les ombres d’Esver, montre bien qu’elle ne s’impose pas de limites pour créer : « Il n’y a pas un genre dans mon livre, mais une palette : il y a une couleur dominante, et d’autres genres pour les nuances. J’ai ma propre singularité. Je fais du fantastique gothique, avec une touche d’uchronie et de fantasy. C’est contraignant, mais ça ouvre aussi des portes. »
« Tout imaginer ou presque »
S’il peut être difficile d’engager la conversation dans la librairie bondée, il est toujours possible de croiser les intervenants au bar de la Cité des congrès, un verre à la main. Gwenaël Gaffric, traducteur de l’auteur chinois Chen Qiufan, y discute, ce samedi après-midi, avec deux éditeurs de Rivages et Points. « Le livre de Chen Qiufan, L’île de Silicium, colle avec le thème de cette édition puisqu’il repousse les limites de la perception, explique le traducteur. Dans un monde limité en ressources, en capacités, la SF permet d’imaginer au-delà de la limite. »
On y a également rencontré Jean-Frédéric, nantais de 39 ans qui travaille dans l’informatique. Un peu geek sur les bords ? Possible, de son propre aveu. Il est déjà venu aux Utopiales en 2019 et ça lui avait beaucoup plu, alors cette année il a carrément pris le « pass 3 jours ». Il est rôliste, peint des figurines, s’intéresse aux univers de la SF. À en croire son t-shirt, c’est aussi un habitué du Hellfest voisin, et visiblement il n’est pas le seul festivalier dans ce cas.
Ce questionnement sur les limites a continué de guider la journée des festivaliers. « Selon nous, il n’y a pas de limites dans la science-fiction, ce qui est bien avec ce genre c’est qu’il est possible de tout imaginer ou presque » a pu nous confier un groupe de festivalières venues pour la première fois aux Utopiales. Elles ont notamment apprécié la projection de films comme Soleil Vert (1974), mais ont également participé à des jeux de rôles dont les créateurs étaient présents dans l’espace jeux.
Sylvain Garnier est venu y présenter sa création Elestria, qu’il lance en financement participatif et dont la sortie est prévue pour le printemps 2023. Pour lui, « le jeu de rôle permet de dépasser les limites de la réalité, d’avoir les pouvoirs des dieux. Avec Elestria, je veux rompre avec le jeu de rôle classique : les pouvoirs y sont pondérés, mais les actions sont beaucoup plus libres. » Pendant les Utopiales, il a accueilli vingt joueurs par jour, une bonne façon de tester sa nouvelle création.
Un festival trop à l’étroit ?
Cette nouvelle édition a montré une nouvelle fois l’engouement du public pour la science-fiction. Mais le format a peut-être atteint ses propres limites : foule dans la librairie dès le matin, files d’attente pour chaque conférence, on se sent vite à l’étroit dans la pourtant grande Cité des congrès. Par ailleurs, à trop vouloir multiplier les thèmes des tables rondes, il est difficile de trouver des intervenants aptes à répondre à chaque question et le spectateur peut parfois rester sur sa faim.
On retrouve par exemple pour la conférence « Alien, féministe ? » Marc Caro, réalisateur français qui a produit Dantes 01 en 2008, accompagné de Nicolas Martin (vulgarisateur scientifique chez France Culture), Laura Lam (auteure de fiction britannique) et le collectif d’auteur engagé Les Aggloméré-es pour aborder le féminisme dans Alien. Si on peut louer la belle diversité des intervenants, l’échange ne répond cependant pas à la question posée. Certains ont même avoué qu’ils n’avaient pas vu les films. L’intervenante britannique n’avait pas été équipée du casque de traduction pour pouvoir suivre les échanges et n’a pu rejoindre la discussion qu’un peu plus tard. Autre problème technique rencontré : pour pouvoir accéder à la conférence, il fallait se présenter une demi-heure avant le début pour avoir un ticket qui assurait la place du spectateur dans la salle. Chose qui n’avait pas été indiquée et qui a surpris pas mal de spectateurs qui n’ont pas pu accéder à la conférence, car la salle s’est remplie assez vite.
Des Utopiales victimes de leur succès ? Peut-être un peu. Pour autant, en plus de 20 ans d’existence, le festival a su s’imposer auprès de ses visiteurs toujours plus nombreux. Et nul doute qu’elles restent le rendez-vous incontournable pour les professionnels et les spécialistes du genre qui attendent déjà avec impatience la prochaine édition. Mais aussi pour les amateurs qui ont pu, cette année, partir sur Mars en réalité virtuelle. Une autre façon de repousser les limites de notre monde.