Le racisme et les discriminations raciales ont toujours été un fléau dans le monde mais particulièrement aux États-Unis. Ce phénomène ne fait que s’accroître ces dernières années avec à la tête de l’une des superpuissances du monde, un suprématiste blanc : Donald Trump. Et dans une Amérique qui se déchire encore et toujours sur la question raciale, Le Prix Pulitzer de fiction 2020 vient taper là où ça fait mal. Mais comment faire pour dénoncer un racisme qu’on a institutionnalisé ?
À travers Nickel Boys, Colson Whitehead nous plonge au cœur d’une Floride ségrégationniste orchestrée par les lois Jim Crow, dans lequel le lecteur est témoin de l’absence d’égalité sociale dans les années 60’s entre les “Blancs” et les “Noirs”. Les premiers qui en pâtissent sont les noirs envoyés pour un oui ou pour un non à la Nickel Academy, une école en apparence, mais qui s’avère être bien pire.
Un roman à la veine réaliste
Le plus accablant dans cette fiction c’est qu’elle s’est inspirée de faits réels : le scandale de la Dozier School for boys, une maison de correction pour jeunes garçons, qui n’a fermé ses portes qu’en 2011… L’histoire est certes réinterprétée selon l’ingéniosité de Colson Whitehead, et la Dozier School for boys devient la Nickel Academy mais le lecteur découvre tout de même peu à peu l’enfer dans une école qui n’en était en fait pas vraiment une. Ainsi, par l’intermédiaire d’une narration poignante on comprend bien vite que ces jeunes garçons, les « white house boys », ont été physiquement, psychologiquement et sexuellement abusés sans que rien ne se sache pendant des années…
Un roman qui dénonce
Nickel Boys est en réalité le portrait glaçant d’une Amérique des années 60’s profondément raciste et suprématiste, dans laquelle être noir était une aberration. Colson Whitehead arrive parfaitement à décortiquer comment le système en Amérique a fait du racisme une institution. Et c’est en dénonçant ces agissements du passé, qu’il parvient à attirer en même temps notre attention sur une contemporanéité qui s’avère être toute aussi dérangeante.
« Nickel Boys, c’est un livre qui résonne curieusement avec l’époque qui est la nôtre ».
– François Geffard, directeur de la collection Terres d’Amérique chez Albin Michel.
Car si les faits principaux se sont déroulés il y a de ça soixante ans, le présent ne semble pas si différent et nous montre que le spectre du racisme n’est jamais bien loin.
En revanche, si l’œuvre de Colson Whitehead semble dénoncer ces agissements, elle ne semble pas pour autant les condamner explicitement. Ce que l’auteur souhaite avant tout c’est une reconnaissance d’un passé traumatique, pour ne pas oublier les victimes d’une Amérique qui a été profondément raciste. Ce n’est qu’une fois cette reconnaissance que nous pourrons, peut-être, envisager des condamnations.
Lire l’œuvre Nickel Boys c’est en réalité exercer un devoir de mémoire envers toutes les victimes de violence raciale.
« lʹAméricain Colson Whitehead donne une tombe à des jeunes gens anonymes persécutés pour leur couleur de peau. »[1]
C’est aussi accepter de reconnaître qu’à une certaine époque des lois ont justement autorisé de tels agissements… Au fil des pages, nous percevons bien vite que l’Amérique a été et est toujours une nation raciste car ce fléau fait désormais partie intégrante de l’institution Américaine.
Effectivement, nous pouvons citer pour exemple le film muet et américain The Birth of a Nation, réalisé par D.W Griffith en 1915, pour comprendre comment ce dernier, considéré comme « fondateur », expose le processus d’institutionnalisation du racisme et du suprématisme aux États-Unis. L’œuvre de Griffith est bien évidemment emblématique du malaise présent aux États-Unis : le racisme et la ségrégation ont été justifiés et par la suite institutionnalisés, il est alors très difficile de s’en défaire. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si, tant dans la fiction de Whitehead, qu’à la Dozier School, le bâtiment de torture soit nommé « la Maison Blanche ». Une belle métaphore qui déguise une critique incontestable de la société Américaine tant en 1963 (date à laquelle se déroule l’intrigue) qu’à notre époque.
« Si l’Amérique se regarde dans le miroir tendu par Colson Whitehead, elle ne se trouvera pas jolie. Mais elle se dira peut-être qu’il est urgent que les temps changent.»[2]
[1] Geneviève Bridel, “Colson Whitehad, Nickel Boys”, RTS radio, le 24 septembre 2020.
[2] Eric Blaise, « Colson Whitehead sonde les blessures raciales de l’Amérique dans Nickel Boys », La Voix du Nord, Le 2 septembre 2020. URL : https://www.lavoixdunord.fr/859281/article/2020-09-02/colson-whitehead-sonde-les-blessures-raciales-de-l-amerique-dans-nickel-boys