Donner la parole à celles qui ne l’ont pas
Le Rire des déesses d’Ananda Devi est une véritable claque. Ananda Devi y décrit la vie des prostituées indiennes qui vivent dans des quartiers très pauvres. Elles font tout pour survivre, et s’agrippe au moindre petit rayon d’espoir. L’auteure nous montre des personnages désabusés par la vie. Seul personnage qui contrebalance cette noirceur, la petite Chinti, âgée de 10 ans et la fille d’une des prostituées. Toutes les femmes aiment Chinti. Mais lorsque Shivnath apparaît dans les vies des prostituées et de Chinti, c’est un raz-de-marée qui s’abat sur l’Inde.
Ananda Devi, est une auteure d’origine mauricienne. Lors d’un de ces voyages en Inde, elle fût révoltée par le fait que les prostituées suivent les pèlerinages pour se faire de l’argent, mais n’ont pas le droit à une quelconque rédemption. Une colère a grandie en elle, et c’est comme ça qu’est née l’histoire de Veena et Sadhana, qui partent délivrer Chinti de Shivnath en suivant un pèlerinage.
Bousculer le lecteur
Les thématiques abordées par Ananda Devi sont dures. Dès les premières pages, un malaise se fait ressentir, avec la description du corps d’une enfant par un adulte. Puis, le récit enchaîne sur le quotidien des prostituées, ainsi que celui des Hijras, des femmes coincées dans des corps d’hommes. La sexualité et sa découverte sont mises en exergue par Ananda Devi à travers une utilisation du champ lexical des corps. Ensuite, quand Shivnath arrive dans le roman, on sent que quelque chose ne va pas. Il n’a pas sur Chinti le regard que doit avoir un homme sur une enfant, mais celui d’un homme sur une femme, ce qui est très dérangeant. Ensuite, quand Shivnath enlève Chinti, les femmes partent en pèlerinage pour la délivrer, mais pendant le périple, elles sont traitées comme des objets, et Sadhana est presque victime d’un viol. Le roman est donc dur à lire car il est difficile de faire face à cette image de l’Inde qui est dépeinte et très loin de ce que l’on peut imaginer.
De plus, Ananda Devi ne mâche pas ses mots. Son écriture est crue, honnête, sans fioriture. Tout est dit, et nous avons même accès à certaines pensées de Shivnath. Rien n’est caché, mais c’est également ce qui rend ce livre si addictif. On a autant envie de le jeter de dégoût que de continuer de le lire. Les descriptions d’Ananda Devi nous plongent au cœur de l’Inde, et tous nos sens sont utilisés pour nous révolter.
Ce roman est une dénonciation de la religion, Shivnath étant un homme de dieu, mais également une véritable ode à la femme, et à l’amour. Chaque femme, mère, fille, est en réalité une guerrière.