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Suite inoubliable d’Akira Mizubayashi, revivre l’œuvre de Bach

Entendre les termes « violoncelle » et « suite » dans une même phrase ne laisse nul doute : ce roman est une référence directe au compositeur Jean-Sébastien Bach.

Suite inoubliable, publié le 17 août 2023, joue avec le temps et les époques. Deux périodes se répondent : 1945 et 2016. En 1945, Ken Mizutani, violoncelliste, confie un violoncelle à Hortense sa luthière, avant de mourir à la guerre. Ce violoncelle est un superbe Goffriller de 1712, prêté par une institution. En 2016, Pamina, petite-fille de la luthière, exerce le même métier. Guillaume Walter lui confie ce même Goffriller pour une réparation. Cette dernière est frappée par la ressemblance avec un violoncelle de famille, et découvre une lettre dissimulée à l’intérieur de l’instrument. Pamina s’élance donc sur les traces de Ken Mizutani, et dans le sillage des deux violoncelles jumeaux.

Akira Mizubayashi construit son roman sur le modèle des Suites de Bach. Six mouvements composent Suite inoubliable, entre un prologue et un épilogue graphiquement différents, imprimés en italique, du point de vue des deux luthières dont les vies et les amours se font écho. 

  • Le « prélude », correspondant traditionnellement à la mise en place, à l’accordage des instruments, est ici l’histoire de Ken, son parcours avant la guerre, pour poser le décor et situer le personnage. 
  • Puis « l’Allemande », danse grave, très construite car incarnant un pilier, une référence pour la suite, débute à la levée, de même que cette partie du roman plonge presque aussitôt le lecteur dans la colère de Kyo. Ce passage est fondateur de l’intrigue, puisque la colère du médecin mène à cette phrase sublime qu’il grave sur un banc, « In terra pax hominibus bonae voluntatis », et qui est une clef pour la compréhension de la suite. 
  • La « courante », contrastant avec son tempo plus vif, est constituée d’allées et venues, tout comme les chapitres se succèdent : présentation de Pamina, rencontre avec le violoncelle, rencontre avec Guillaume… 
  • Elle s’enchaîne avec la « sarabande », qui fait rencontrer avec noblesse et douceur Pamina et Ken, mais aussi Pamina et son ancêtre. Contrairement aux menuets qui suivent, la sarabande est un morceau charnière. 
  • De fait, les « menuets » ne sont pas obligatoires, mais sont intéressants dans leur structure : ils sont souvent caractérisés par une reprise, tout comme, dans Suite inoubliable, la passion qui fait tenir Ken est d’abord énoncée narrativement, puis reprise dans la lettre qu’il écrit à R.K et apparaît enfin en écho dans la lettre rédigée par la luthière. 
  • Enfin, la « gigue » intervient en dernier lieu : elle est le dénouement de la suite, dénouement musical, vif et sensible, tout comme le roman proposant une scène très sentimentale en conclusion.

Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi Akira Mizubayashi a construit son intrigue de sorte que le Goffriller de 1712 soit le personnage principal. Il est le violoncelle seul de la suite en question, dont les personnages ne sont que les interprètes. Le morceau musical est perpétuel car le violoncelle est la ligne directrice, autour de laquelle gravitent les humains. Au-dessus des rapports humains, la musique est alors dressée à un rang transcendantal qui élève.

D’un point de vue personnel, Suite inoubliable fut un roman agréable à lire car la plume d’Akira Mizubayashi est fluide. En outre, sa vision très belle et poétique de la musique est particulièrement touchante, notamment lorsqu’il s’arrête sur l’interprétation d’une pièce par un musicien. Cependant, les caractères auraient mérité d’être plus approfondis, pour doubler le travail sur la musique d’une proposition plus réelle et vraisemblable des rapports entre les personnages. Les dialogues manquent de matière, et il est difficile de se représenter avec crédibilité les différents protagonistes. Tout de même, ce roman porte une âme très pure, en totale cohérence  avec l’image que renvoie l’auteur dans ses interventions : sensible, animé par un désir de paix et en recherche d’une transcendance artistique.

Si vous souhaitez en apprendre davantage sur Akira Mizubayashi et son roman, rendez-vous sur ce court article à propos de la réception de l’œuvre !

Suite inoubliable de Akira Mizubayashi, Gallimard, 2023.