Protocole gouvernante est le premier roman de Guillaume Lavenant, auteur de théâtre et ingénieur, dans lequel une jeune femme est engagée par des parents aisés pour s’occuper de leur fille. Mais sa mission ne s’arrête pas là. Guidée par un étrange protocole qu’elle ne quitte jamais, la nounou va bouleverser la vie de cette famille d’une façon totalement inimaginable.
Dès l’ouverture du roman, avec la toute première entrée du protocole, on est plongé dans l’intrigue. C’est au départ légèrement perturbant, voire carrément dérangeant, de sentir que le narrateur, avec ce futur à la limite de l’impératif et ce « vous » permanent, s’adresse directement à vous en vous donnant des ordres, surtout quand il n’y a aucun moyen de leur répondre, de les refuser.
Évidemment, cette narration à la 2e personne du pluriel est loin d’être inédite. Il est presque impossible de l’évoquer sans parler de La Modification de Michel Butor en 1957. Néanmoins, elle reste rare et minoritaire dans notre paysage littéraire, d’où son effet déstabilisant.
Autre aspect étrange de ce roman, on ne sait rien de ce personnage principal avec lequel on peut parfois se confondre. On ne sait pas à quoi la gouvernante ressemble, ce qu’elle pense de ce protocole qu’elle doit suivre, ni même si elle a vraiment envie de le suivre. En fait, on ne sait même pas si elle le suit, puisque tout est au futur, le projet pourrait très bien être toujours en préparation… Nous savons que, d’une manière ou d’une autre, le plan cherche à ébranler le système. Mais quel système exactement ? De quelle manière ? Pourquoi ? À ces questions-là, nous chercherons encore longtemps les réponses.
D’une certaine manière, la lecture de Protocole gouvernante peut rappeler celle de Virgin Suicides de Jeffrey Eugenides. Dans ce roman, l’auteur choisit non pas le « vous », mais le « nous » pour incarner son narrateur. Là où Virgin Suicides donne presque le sentiment au lecteur d’être un membre à part entière du groupe de garçons qui épient avec fascination les sœurs Lisbon, Protocole gouvernante nous place à la fois dans la position du voyeur, ainsi que dans celle de la personne épiée, puisque le protocole est rédigé de manière à anticiper le moindre geste de chaque personne impliquée, aussi bien la gouvernante que la famille qu’elle infiltre.
En fait, la lecture de Protocole gouvernante pousse le lecteur à se poser beaucoup de questions, à chercher à comprendre ce qu’il se passe dans cette maison, qui sont ces personnages, quel est le but du plan de Lewis. D’ailleurs qui est donc ce Lewis ? C’est une expérience de lecture assez intense et active.
Que la fin soit totalement ouverte est appréciable, puisque cela laisse aux lecteurs l’opportunité de choisir l’option qui leur convient. Personnellement, j’ai préféré laisser les questions précédemment évoquées en suspens, comme cela semble être voulu par l’auteur, parce que cela donne une dimension encore plus mystérieuse au roman, un côté insaisissable que je trouve très cohérent avec l’histoire.
La lecture de Protocole gouvernante est donc une expérience originale et intéressante, le fait que le narrateur semble directement s’adresser au lecteur peut être déstabilisant, mais constitue un élément fort du récit, puisque c’est également ce qui le motive à poursuivre sa lecture jusqu’au bout. D’ailleurs, c’est le seul ordre qui n’est pas donné explicitement dès le début du protocole, mais que l’on suit quand même.
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