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Autoportrait d’un homme-chevreuil

Dans Autoportrait en chevreuil paru chez Finitude en 2020, Victor Pouchet renoue avec les portraits en bestiaire qui marquaient déjà son premier roman, Pourquoi les oiseaux meurent.

Elias, jeune homme bancal et introverti, est incité par la femme qu’il aime, Avril, à tenir un journal sur son enfance. Ce travail introspectif mené par un personnage-chevreuil, un homme fuyant et insondable, plonge le lecteur dans les souvenirs d’une jeunesse marquée par les obsessions d’un père magnétiseur.

Une structure favorisant le mystère

Ce roman à trois voix s’articule autour des confidences d’Elias, de celles d’Avril relatant leur rencontre, et enfin d’un dialogue mené par le père d’Elias avec cette dernière. Cette construction offre une histoire douce et intime, mais qui ne manque pas de mystère puisqu’elle s’articule autour de la révélation d’un « grand accident », traumatisme originel pour Elias. Cette construction atypique va nourrir un certain mystère et une tension dramatique qui poursuivra le lecteur jusqu’à la dernière page.

La figure du père est aussi un élément de mystère. Malgré sa marginalité (qui a elle aussi un impact sur ses enfants) et un rejet de la part des autres, il semble avoir une certaine aura et un pouvoir sur la nature. Personnage charismatique et dont la parole est marquée par des aphorismes se voulant porteurs de vérités, le père est surtout présenté à travers le regard et les souvenirs d’enfance d’Elias. C’est lui, qui livrera la révélation finale.

Un roman de « désapprentissage »

Autoportrait en chevreuil ne ressemble pas exactement aux romans d’apprentissage plus classiques ou de référence. Le lecteur y suit un jeune homme en pleine introspection pour réussir à surmonter, ou du moins affronter, des traumatismes liés à l’enfance. Et, dans le cas d’Elias il s’agit de se construire mais aussi d’une déconstruction : celle dont il doit faire preuve pour se débarrasser de ses habitudes, ses réflexes et automatismes créés par les différents rites paternels.

Une autre originalité du roman se retrouve dans le style adopté dans la première partie, teinté par la sensibilité enfantine et des élans d’innocence. Cela va favoriser une certaine empathie chez le lecteur et donc un attachement pour le personnage. Ce style va venir contraster avec les traumatismes provoqués par le père et donc insister sur leurs conséquences, même si cette innocence n’empêche pas le personnage principal d’avoir des moments de lucidité à propos de son enfance.

Autoportrait cacherait-il un autoportrait ?

Son premier roman comportait déjà une particularité ambiguë : le personnage principal s’appelait Victor Pouchet. D’autres similitudes entre l’auteur et le personnage pouvaient troubler le lecteur et rendre flouter la frontière entre les paroles du personnage et les pensées de l’auteur.

Autoportrait offre lui aussi une ambiguïté de ce type avec son titre. Le mot « Autoportrait » n’est pas sans rappeler l’idée de « pacte autobiographique » formulée par Philippe Lejeune. Si le récit est bien fictionnel, se pourrait-il qu’un autoportrait de l’auteur s’y cache, en particulier dans les théories et digressions qui ponctuent le roman ?

Avec Autoportrait en chevreuil, Victor Pouchet signe donc un roman au rythme original, entre mystère et douceur.