De l’enthousiasme à la déception
Au premier coup d’œil, Buveurs de vent a de quoi intriguer. La quatrième de couverture nous présente quatre enfants nés du Gour Noir, des enfants particuliers, voire énigmatiques, si bien que l’on s’attend presque à rencontrer là un roman de littérature fantastique. Avec un titre tant mystérieux qu’accrocheur, Buveurs de vent attire les amoureux de littérature sombre.
L’histoire est celle de quelques habitants d’un village du Gour Noir, village dépendant d’une centrale qui étend sa toile de fils électriques sur toute la vallée. Joyce, patron cruel et avide de pouvoir, contrôle la vie de tous d’une main de fer et fait disparaître ceux qui osent lui désobéir. Marc, Mathieu, Mabel et Luc, quatre frères et sœurs, tentent, quant à eux, de trouver leur place dans un monde en mutation, que ce soit par la révolte qui se prépare, ou bien au travers l’évolution des mœurs de la société.
Le livre s’ouvre sur un prologue aux airs de légende, à la naissance imaginée par l’auteur de la vallée du Gour Noir. Hélas, si l’idée possède un charme presque onirique, l’écriture vient briser le rêve. Le style se fait, dès le commencement, pompeux. Alors que le premier chapitre s’amorce, l’écriture en revient à un niveau de simplicité qui soulage, de loin plus maîtrisé et qui surtout donne le ton réel du roman. Buveurs de vent prend un départ maladroit, à l’image du reste du récit.
Des protagonistes caricaturaux
Il ne faut pas retirer à l’ouvrage ses quelques bonnes idées. Le paysage rural s’installe parfaitement : un village reculé du Massif Central coupé d’une large partie du monde, presque hors de son temps, prend vie. Cependant, les bonnes idées ne sont pas, ou très mal, exploitées. Lorsque l’on se surprend à apprécier un aspect du roman il devient vite décevant, amer ou tombe dans la confusion.
Avec plus de dix personnages au compteur, Franck Bouysse parvient habilement à ne pas perdre son lecteur, toutefois cette profusion dessert, en définitive, l’attachement que l’on pourrait leur porter. Rapidement, on comprend que la fratrie présentée par la quatrième de couverture n’était que la partie de l’intrigue la plus aisée à extraire pour le résumé. Malgré le défilement des pages, un fil rouge peine à se dessiner tandis qu’une prolifération de protagonistes caricaturaux se poursuit. Aucun n’est traité davantage qu’en surface pour finalement incarner un archétype sans saveur ni nuance, à commencer par les figures féminines.
Martha, la mère, ne se définit que par sa religion. Cet aspect dicte le moindre de ses choix de vie ou traits de caractère. Mabel, au contraire, est une jeune femme qui cherche à s’émanciper et qui assume une sexualité qu’elle explore librement. Si Mabel devait incarner un personnage féminin fort en rupture avec les mœurs de sa famille et de son époque, elle perd toute sa saveur à mesure que l’auteur insiste sur sa beauté et sa sexualité, jusqu’à l’overdose, puis le risible. Mabel ne devient jamais davantage qu’un corps désirable animé de fortes passions charnelles.
De leur côté les figures antagonistes n’ont guère davantage de crédibilité. Les traditionnels hommes de main, Snake et Double, un nain malin et un géant bourru apparaissent soudainement au milieu du récit alors que l’on pensait avoir fait le tour des personnages. Le grand ennemi, Joyce, ne joue pas davantage son rôle.
Un brouillon de roman
On ne peut retirer au livre ses réussites. Franck Bouysse parvient à installer une ambiance rurale omniprésente, jusqu’à faire ressentir l’oppression d’une population coupée du monde, dominée par la centrale. Toutefois, Buveurs de vent sème, au fil de ses pages, la frustration en tuant ses propres idées. Les audaces thématiques qui sont légion souffrent d’un récit à la construction bancale.
“Ils n’avaient pas répété leur rôle, je le découvrais en même temps qu’eux et puis ils sortaient de la scène. Certains arrivaient à la moitié du roman parfois au 1er tiers… Il y avait un côté épique qui m’embarquait” [1]
Si Franck Bouysse confesse avoir ajouté des personnages en cours d’écriture, de nombreux passages semblent avoir été parachutés au dernier moment. Dans ce cas, il est possible de citer la fin elle-même, puisqu’elle jure à nouveau avec le reste du roman en adoptant la même écriture que le prologue mais surtout surgit sans crier gare, tel un Deus Ex Machina particulièrement cynique.
Voir aussi : Franck Bouysse, Brasseur de vent, par Emma Mia.
[1] Rentrée littéraire : les « Buveurs de vent » du limousin Franck Bouysse, dans France Info, le 20 aôut 2020.