Claire Baglin met les bouchées doubles dans En Salle pour dénoncer l’aliénation au travail

Avec L’Établi de Robert Linhart, Sortie d’usine de François Bon et maintenant En Salle de Claire Baglin, les Éditions de Minuit continuent à mettre en avant la thématique du labeur ouvrier dans leur catalogue. La nouvelle autrice de cette maison d’édition engagée, Claire Baglin, dévoile son talent dans ce tout premier roman, publié à l’occasion de la rentrée littéraire 2022.

Dans cet ouvrage, Baglin dépeint deux récits parallèles sur les conditions de travail en usine et en restauration rapide, deux postes toutefois bien distincts l’un de l’autre. Inspiré par sa propre vie, l’autrice apporte un réalisme indisputable à son roman à travers de nombreux détails sur ces environnements professionnels, accompagnés du rythme effréné qui les caractérisent.

Au fil de ces 160 pages, Baglin retrace son passé et plonge dans les souvenirs d’une enfance marquée par la figure du père ouvrier, tout en créant une analogie avec son propre emploi d’étudiante bien des années plus tard. Un entremêlement de la vie de la narratrice et celle de son père, pourtant si différents (à tel point que, enfant, la narratrice faisait tout son possible pour se démarquer de lui et des autres membres de sa famille), se dévoile alors.

Continuellement factuelle plutôt qu’émotionnelle, l’autrice fait le portrait, dans sa première œuvre, de travailleurs déshumanisés par leurs emplois. Cette robotisation de l’humain ouvrier est l’un des éléments centraux de ce roman, l’un de ses points forts, mais aussi, paradoxalement, son talon d’Achille. En effet, le manque d’information sur les personnages en dehors de leur association au monde du travail empêche de créer un réel attachement ou de s’identifier à ceux-ci. Néanmoins, étant donné qu’il s’agit d’une autobiographie, ce choix pudique de l’autrice, effectué dans l’optique de préserver et protéger la vie privée des protagonistes non-fictifs, reste malgré tout compréhensible.

Pour autant, même si Baglin reste en surface des émotions de ses personnages, l’histoire n’en est pas moins fascinante. Oppressante du fait de son rythme intense susmentionné, le lecteur est embarqué dans une spirale vertigineuse de répétitions perpétuelles des tâches et de pression écrasante de l’emploi, elles-mêmes démultipliées par les finances fragiles de la petite classe moyenne. Une atmosphère suffocante en résulte et le lecteur retient son souffle à chaque page tournée, chaque chapitre entamé.

Acclamée pour l’originalité et la justesse de sa plume par la plupart des critiques (à la fois par les professionnels et les amateurs), Claire Baglin est sans aucun doute un nom qui résonnera de nouveau dans le monde littéraire – et probablement dans la littérature prolétaire si la jeune autrice décide de poursuivre cette voie – dans les années à venir.

 

En Salle de Claire Baglin, Éditions de Minuit, 2022.