Dans le Commerce des allongés, Alain Mabanckou, auteur franco-congolais, nous partage sa vision de l’Afrique, où les hommes politiques sont corrompus et sous le charme de sorciers assassins. Mais il dépeint aussi une société emplie de solidarité entre les plus démunis, dont les femmes sont la véritable clef de voûte.
Une histoire touchante
Avec l’histoire de Liwa, jeune homme qui se réveille dans sa tombe au cimetière des Pauvres de Pointe-Noire, juste après son enterrement, Alain Mabanckou nous fait découvrir sa ville de Pointe-Noire, ses quartiers riches et pauvres, avec beaucoup de poésie.
On ne peut qu’être touché par l’histoire de Liwa, par son enfance heureuse – bien que pauvre – auprès de sa grand-mère, par son innocence face aux choses de la vie, de l’amour et de la mort. Le lecteur suit, comme fil conducteur, l’enquête de Liwa pour découvrir les circonstances de son décès, lié indirectement à un sacrifice rituel. On est presque soulagé de le voir se venger à la fin du roman, en faisant tomber un homme puissant véreux. C’est là, semble-t-il, le message du roman. L’auteur redonne au peuple son pouvoir face à des élites corrompues et violentes. On découvre aussi, parfois avec amusement, parfois avec stupeur, les histoires des autres habitants du cimetière, l’avarice de l’Artiste, la bonté de Prosper Milandou ou la force de la « Femme Corbeau », dont les mots closent le roman.
Le lecteur prend plaisir à découvrir ou à retrouver la verve colorée de l’auteur qui nous plonge dans son Congo-Brazzaville natal. La lecture est plaisante de bout en bout, grâce, d’une part, au vocabulaire très riche de l’auteur, mais aussi à ses expressions purement congolaises, comme le « Pays Bas » des danseuses-pleureuses, qui donne au roman une coloration particulière.
Une ouverture sur la culture congolaise
Le livre est aussi parsemé d’anecdotes historiques, comme celle de Jean Félix-Tchicaya, homme politique de Pointe-Noire, entré à l’Assemblée nationale en France. Pour ceux qui connaissent peu l’histoire de l’Afrique de l’Ouest, il est parfois difficile de démêler le vrai du faux entre les faits avérés et les inventions de l’auteur. Mais le roman offre une vraie ouverture sur la culture congolaise, ses traditions et ses mythes ancestraux. Il montre comment ceux-ci marquent encore aujourd’hui la vie des habitants. Sans que jamais ces traditions ne soient remises en question, l’auteur en critique les dérives, qui sont le fait de faux sorciers et d’hommes politiques égoïstes.
Un roman actuel
Derrière l’écriture colorée de l’auteur, derrière cette myriade de personnages haut en couleur, se cache ainsi une profondeur du propos qui apporte une autre lecture du roman. Il s’ancre, bien entendu, dans la ville de Pointe-Noire, mais notamment grâce à la narration à la deuxième personne qui brouille quelque peu les limites entre le lecteur et le personnage de Liwa, on peut y retrouver des éléments universels, dont en première ligne, les inégalités sociales entre riches et pauvres, qui sont ici exacerbées.
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