© Éditions Gallimard – Francesca Montovani

Le Trésorier-payeur, un roman érotique certes, mais aussi politique !

Dans son nouveau roman, Yannick Haenel nous propose des réflexions sur la dépense et balaye la société capitaliste avec poésie.

Comment être anarchiste et travailler dans une banque ?

Le Trésorier-payeur raconte l’histoire d’un banquier qui veut tout dépenser. Dans la première partie du roman, Yannick Haenel explique que cette fiction prend forme dans son esprit en 2015 lorsqu’il est invité à l’emplace­ment de l’ancienne Banque de France de Béthune pour par­ticiper à une exposition dédiée à l’écrivain Georges Bataille. Drôle de coïncidence, l’ancien trésorier de cette banque s’appelait également Georges Bataille, puis l’imagination de Yannick Haenel prend le relai. Il invente la vie de ce trésorier-payeur, d’abord étudiant en philosophie quittant ensuite ses études pour travailler à la Banque de France.  Alors qu’il se consacre aux impayés et au recouvrement des dettes, il devient un banquier charitable, puisque protégé par le directeur de la banque, Charles Dereine, il défend les surendettés.

En parallèle à cette vie de banquier, le trésorier-payeur se livre aux multiples femmes peuplant le roman. Eszter, Annabelle ou Lylia pour ne citer qu’elles, apportent le paradoxe de l’érotisme dans ce monde bancaire.

Un roman long, peut-être trop long…

Le Trésorier-payeur est un roman long de quatre-cents pages et c’est peut-être justement son défaut. La soixantaine de pages d’introduction, souvent décriées parmi les critiques négatives, alourdissent l’ouvrage et la réduire de moitié permettrait d’en apprécier que davantage la genèse. Ce sentiment est également présent durant les chapitres 4, 5, et 6, mais ils nous permettent aussi de questionner le style de l’auteur. Durant ces trois chapitres, Bataille semble lui-même trouver le temps long. Peut-être que cet ennui ressenti en lisant nous permet ainsi d’être au plus près du ressenti du personnage ?

Enfin, cette longueur dans le récit nous procure une déception sur nos attentes. Bataille achète la maison qui est reliée d’un tunnel à la Banque qu’à la page 261 et ce tunnel n’est découvert à la page 291 par notre protagoniste. Soit, après la moitié du roman, alors que nous nous attendions à ce que cela soit les sujets principaux de l’ouvrage. Certes le trésorier-payeur aide un couple et collabore avec Emmaüs, mais ces évènements sont minimes face au reste du récit. Le roman aurait probablement gagné en puissance s’il avait été plus condensé.

Un livre politique aux allures autobiographique ?

Plusieurs éléments nous permettent de penser que les critiques du protagoniste sont finalement celles d’Haenel lui-même. En effet, à l’instar de notre auteur, Georges Bataille, était fils de militaire et avait lui aussi étudié dans un lycée militaire : « les raisons de son séjour dans un lycée militaire (son père était militaire, voilà tout) » (Le Trésorier-payeur, p.106). Nous lisons également page 351 « il écrivait au lit », un point commun non négligeable avec notre auteur qui possède cette particularité1. Georges Bataille ne serait-il pas Yannick Haenel ? Cette question reste également en suspens à travers les réflexions philosophiques et politiques de Georges Batailles. Nous retrouvons dans l’ouvrage des critiques du Front National, un parti politique d’extrême droite : « Et quand il y a trop de magouilles, on sait comment ça finit : le Front national se répand comme un virus et un jour il gagne les élections » (Le Trésorier-payeur, p. 206). Une critique du capitalisme est également présente dans l’ouvrage à plusieurs reprises :

Selon lui, les endettés n’étaient pas des profiteurs du système, mais au contraire leurs proies :

— C’est le système qui profite des endettés, dit Bataille. Le système encourage ceux qui n’ont rien à s’endetter car il a besoin de la dette des pauvres pour fructifier […] L’objet du capitalisme, c’est le profit ; et la part inavouable du profit, c’est la mise à mort. (Le Trésorier-payeur, p. 273)

En tant que chroniqueur d’un journal comme Charli Hebdo aux couleurs politiques fortes, nous pouvons nous interroger sur la proximité des idées de Batailles et d’Haenel. Ce Georges Bataille aux allures d’un Robin des bois des banques ne cesse de questionner notre rapport à l’argent et au monde. Un roman intelligent et intéressant pour revoir notre conception face à notre société capitaliste.

Le Trésorier-payeur de Yannick Haenel, Gallimard, 2022.

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1 Virginie Demange, « INSOLITE. L’écrivain Yannick Haenel, prix Médicis 2017, a écrit son roman «Le Trésorier-payeur» allongé dans son lit ! », France Info [en ligne], consulté le 15/11/2022. URL : https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/pas-calais/bethune/insolite-l-ecrivain-yannick-haenel-prix-medicis-2017-a-ecrit-son-roman-le-tresorier-payeur-allonge-dans-son-lit-2630140.html