Avec Les Merveilles, Viola Ardone, auteure napolitaine déjà célébrée pour son précédent roman Le Train des enfants, nous plonge dans une œuvre lumineuse et poignante. Ce nouveau titre, qui clôt sa trilogie consacrée à l’Italie de la seconde moitié du XXe siècle, mêle poésie et réalisme dans un récit ancré au cœur des hôpitaux psychiatriques avant leur démantèlement. Loin de se limiter à une simple chronique historique, Ardone propose une exploration universelle de la folie, de la liberté, et des liens humains.
Une trame puissante et émotive
L’histoire s’ouvre en 1982, dans un hôpital psychiatrique napolitain. Elba, une adolescente née dans cet asile, vit aux côtés de sa mère injustement internée pour des raisons sociales et patriarcales plus que médicales. À travers son regard, Viola Ardone peint le quotidien d’un lieu à la fois terrifiant et fascinant, qu’Elba surnomme le « monde-à-moitié ». Cette jeune fille, dotée d’une imagination vive et d’une capacité à voir au-delà des apparences, raconte ce microcosme où se côtoient souffrances, injustices, mais aussi tendresse et humanité.
Le roman prend une autre dimension en 2019, lorsque Fausto Meraviglia, un psychiatre vieillissant ayant œuvré pour la fermeture des asiles à la faveur de la loi Basaglia, revient sur sa vie. Alternant entre passé et présent, Viola Ardone dresse un portrait complexe de cet homme idéaliste mais imparfait, qui cherche à réparer ses échecs personnels tout en s’interrogeant sur l’impact de son combat pour une psychiatrie plus humaine. La relation entre Fausto et Elba devient le fil conducteur de l’histoire, révélant une quête commune de rédemption et de compréhension.
Un style littéraire subtil et poétique
La force de Les Merveilles réside également dans son écriture, qui marie brutalité et grâce avec une rare virtuosité. La plume de Viola Ardone, superbement traduite par Laura Brignon, oscille entre descriptions percutantes et envolées poétiques. Dans les passages où Elba prend la parole, le style est brut, presque enfantin, mais non dénué de fantaisie. Ce choix stylistique renforce l’authenticité du personnage tout en apportant une légèreté bienvenue face à des thèmes aussi sombres que la maltraitance institutionnelle ou l’abandon.
Fausto Meraviglia, de son côté, nous livre une introspection plus mature et mélancolique. À travers ses souvenirs et ses regrets, l’auteure questionne la capacité des individus à changer, à se racheter, et à donner un sens à leurs actes. Ces deux voix, celle de l’adolescente résiliente et celle du vieil homme désabusé, se complètent et tissent une narration à la fois intime et universelle.
Un roman ancré dans l’histoire
Viola Ardone s’inspire d’un moment clé de l’histoire italienne : la promulgation en 1978 de la loi Basaglia, qui a marqué la fermeture des asiles psychiatriques et l’insertion des patients dans la société. Si ce contexte historique donne au récit une profondeur supplémentaire, il ne se limite pas à une simple reconstitution. L’auteure interroge les notions de norme et de marginalité, en montrant comment des femmes pouvaient être internées pour avoir défié les attentes sociales, souvent sous prétexte de maladie mentale.
Ce regard critique sur les institutions n’empêche pas Ardone de rendre hommage à ceux qui ont cherché à changer le système de l’intérieur. Fausto Meraviglia incarne cet espoir d’une psychiatrie plus humaine, bien qu’il doive composer avec les échecs et les compromis inhérents à toute réforme.
Une réflexion universelle sur la liberté et l’amour
Au-delà de son contexte historique, Les Merveilles est un roman profondément universel. Il aborde des questions fondamentales : qu’est-ce que la liberté ? Peut-on se libérer des étiquettes imposées par la société ou par nos proches ? Et surtout, jusqu’où l’amour peut-il nous porter dans notre quête de sens ?
Elba, qui passe du « monde-à-moitié » au « monde-en-entier » en brisant les murs qui l’entourent, devient une figure d’émancipation. Cependant, elle ne perd jamais sa poésie ni sa vision singulière, rappelant que la véritable liberté ne se résume pas à un changement de lieu, mais à une transformation intérieure.
Un succès mérité mais sans prix pour le moment
Malgré l’accueil enthousiaste des critiques et des lecteurs, Les Merveilles n’a pas été couronné par des prix littéraires majeurs. Cela peut s’expliquer par la difficulté à catégoriser ce roman, qui oscille entre drame historique, chronique sociale, et réflexion philosophique. De plus, le succès colossal de Le Train des enfants a peut-être éclipsé cette œuvre, pourtant tout aussi aboutie, en incitant à des comparaisons parfois injustes.
Une lecture inoubliable
Avec Les Merveilles, Viola Ardone signe un roman profondément humain, qui touche autant par la richesse de ses personnages que par la beauté de son écriture. Elle invite ses lecteurs à une introspection subtile, tout en offrant une plongée fascinante dans un univers méconnu. Ce livre est bien plus qu’un récit sur la folie ou les institutions psychiatriques : c’est une célébration de la résilience, de l’amour et de la quête de liberté.
Un roman qui laisse une empreinte durable, dans le cœur et l’esprit de ceux qui le lisent.