Rencontre avec les métiers de l’ombre de l’édition

À l’heure où le nom de Vincent Bolloré fait trembler le monde de l’édition, nous avons décidé de partir à la rencontre de ces personnes qui tentent de participer au maintien de l’édition indépendante et mettre en lumière ces métiers souvent méconnus du grand public. Nous avons rencontré Julien Poujol, président d’Amalia Diffusion et Elisabeth Tielemans, fondatrice de Mauvaise Herbe, une agence de promotion littéraire.

Les entretiens

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur la genèse de votre structure ?

Julien Poujol : Amalia Diffusion se divise en trois phases. En 2012, Mathilde, étudiante en master édition crée la structure sous un format associatif. C’est alors une jeune nantaise ayant, dans sa famille, un éditeur indépendant qui peine à placer ses livres et à étoffer son réseau libraire. Pour aider ce proche, mais également d’autres maisons d’édition, elle se donne pour projet de monter une entreprise de diffusion en mettant en avant des éditeurs indépendants. Il n’en fallait pas plus pour qu’Amalia diffusion voit le jour ! En 2018, Mathilde cherche à passer la main et deux éditeurs se décident à relever le défi. Ce n’est que depuis le début de l’année 2022 que j’endosse le statut de président d’Amalia, pour une « troisième phase » dans la vie de la société. Il convenait d’avoir une personne à plein temps pour tenir la barre du navire. J’ai donc proposé de récupérer Amalia diffusion avec un collègue afin d’investir plus d’argent et avoir encore plus de moyens pour défendre les éditeurs indépendants.

Élisabeth Tielemans : Suite à mon master d’édition, j’ai commencé à travailler aux 400 coups au Québec, puis en France comme directrice commerciale. Quand l’antenne française a fermé, j’ai commencé à travailler pour les éditions de La Pastèque jusqu’en mars 2020. Avec la pandémie, ils ont décidé de faire une pause dans l’édition. J’ai profité de ce moment pour créer l’agence Mauvaise Herbe qui s’occupe des relations presse, des relations libraires pour différentes maisons d’édition. J’en ai parlé aux diffuseurs et distributeurs que je connaissais et j’ai trouvé presque aussitôt 3-4 maisons d’édition qui cherchaient quelqu’un pour promouvoir leurs livres. Mon métier se concentre sur la relation avec les journalistes, les influenceurs, les blogueurs et les libraires. Je fais aussi des présentations aux diffuseurs parfois.

Julien Poujol, qu’en est-il de la péniche d’Amalia alors ? 

Julien Poujol : Malheureusement – ou heureusement pour mon pied qui n’est pas très marin – ce ne sont pas nos bureaux. Ce beau bateau, nommé “Même la rouge”, appartient à Frédéric Moret, l’un des éditeurs diffusé par Amalia mais également un proche de l’association. Il nous sert principalement à effectuer des tournées afin de rencontrer des libraires. C’est en quelque sorte la « mascotte » d’Amalia.

Quelle est votre vision de la diffusion/distribution ?

Julien Poujol : Il s’avère que, malheureusement, en tant que « petit » diffuseur on est traité différemment par les libraires, et parfois moins respectueusement, par exemple, en passant d’un système d’achat avec possibilité de retour – où le libraire paie un stock mais avec une possibilité de retourner une partie des invendus – à un système de dépôt – où le libraire n’achète finalement que ce qui a été effectivement payé par des clients finaux. Ce qui nous affaiblit considérablement.

On essaie aussi de faire en sorte qu’il y ait le moins de livres possibles qui nous reviennent. Par exemple, dans le cas d’une nouveauté, on se restreint et on ne place pas 50 ouvrages dans une seule librairie. Ceci car il est très difficile de gérer des retours massifs. Alors que les « gros » vont avoir tendance à saturer les librairies pour prendre la place de leurs concurrents. Une méthode invasive qu’on s’efforce d’éviter.

Comment sélectionnez-vous les éditeurs avec lesquels vous travaillez ?

Julien Poujol : Bien souvent il s’agit de rencontres. Dans mon cas, mon entrée au catalogue d’Amalia en 2018 s’est déroulée à la suite d’un salon du livre. L’équipe de l’époque avait ainsi pu voir directement ce que je faisais et quelle était mon identité graphique.

Du fait de la raréfaction des diffuseurs/distributeurs en France, de nombreux éditeurs nous sollicitent pour que l’on joue ce rôle pour eux. D’autant plus que les « gros », pour en revenir à eux, exigent bien souvent des conditions difficiles à atteindre : 80 000 € de chiffre d’affaires mensuel, une production de 6 à 8 ouvrages par an. Pour notre part, nous avons décidé de plutôt privilégier les coups de cœur et l’aspect humain, sans oublier la qualité éditoriale bien entendu !

On privilégie aussi des éditeurs qui ne s’éparpillent pas trop. Lorsqu’on se veut généraliste mais qu’on est plutôt petit, bien souvent on touche à tout mais on n’excelle en rien.

Elisabeth Tielemans : Je travaille avec des éditeurs indépendants. Ce qui est intéressant pour les petites maisons d’édition, c’est la mutualisation que je leur permets. Comme je travaille avec plusieurs maisons d’édition, ça leur coûte moins cher. Ils n’ont pas à payer quelqu’un en interne avec un salaire par mois.

C’est aussi ce que j’aime. Même si les marchés de la BD et de la jeunesse se portent bien, ça ne veut pas dire que les petites maisons d’édition se portent bien. C’est très difficile d’avoir sa place en librairie car les diffuseurs ont beaucoup de maisons d’édition. Donc quand les représentants vont en librairie, ils mettent plus l’accent sur les grosses maisons d’édition. Aussi, elles ont moins de titres par an ce qui fait que les libraires les oublient vite. Mon travail, c’est de rappeler aux libraires constamment que ces petites maisons d’édition existent, qu’elles ont un fonds, leur parler des nouveautés à venir, organiser des rencontres, etc. Ça peut aussi passer par des organisations d’expos ou d’événements, en clair, mettre en lumière ces petites maisons d’édition.

Pensez-vous que, face aux difficultés actuelles que connaît la chaîne du livre, il est nécessaire d’en revoir les fondements ?

Julien Poujol : Il est certain que cette question va devenir fondamentale dans les mois, années à venir ! Encore plus avec l’OPA d’Hachette sur Editis qui met dangereusement en péril la bibliodiversité française.

Elisabeth Tielemans : Oui ! Après, j’ai l’impression que personne n’est prêt à faire le moindre changement, pas les gros en tout cas. Alors, ça me paraît compliqué et on ne va pas vers le mieux avec les rachats. Il faudrait moins de production et que les libraires accèdent plus facilement à l’information des petites maisons. Les libraires sont assommés par la production des grosses maisons d’édition et les diffuseurs diffusent les maisons d’édition quand les maisons d’édition produisent plus de X titres par an. Donc c’est un engrenage. Et, en plus, quand on ne sort que 5 titres par an, les libraires ne se souviennent pas de nous. Il devrait y avoir un quota, ou quelque chose comme ça. Mais ce n’est pas la solution miracle !

 

Nous tenons à remercier vivement Julien Pujol et Elisabeth Tielemans d’avoir accepté ces entretiens. Ces échanges ont permis d’aborder des réflexions sur la surproduction et le rapport de force des grosses structures face aux structures indépendantes. L’importance de la diversité dans le monde de l’édition est aujourd’hui une question essentielle. Pour les retrouver et suivre leur travail :

http://www.amalia-diffusion.com/  

https://mauvaiseherbe.mailchimpsites.com/