Couverture française du livre
© Gallmeister

True Story, une réflexion sur les récits de violences sexuelles

Dans une société post #MeToo, la voix narrative des récits de violences sexuelles envers les femmes est analysée en profondeur à chaque fois qu’une victime prend la parole pour dénoncer son ou ses agresseurs. Dans le récit de True Story, cependant, Kate Reed Petty s’intéresse à ce qui fait la force de ces récits : la voix qui les porte.

Une soirée entre adolescents qui finit mal

« La dernière fois que tu es venue me demander cette histoire, cela faisait déjà des années que je me cachais à Barcelone. […] Tu as toujours été sûre de l’histoire que tu veux que je raconte, l’histoire que tu me réclames depuis nos dix-sept ans : L’histoire des choses qui se sont passées pendant que je dormais. » Ainsi commence le premier roman de Kate Reed Petty, True Story. L’histoire à laquelle se réfère la narratrice, c’est l’histoire qui a défini le trajet de sa vie depuis quinze ans : après une soirée alcoolisée entre lycéens, Alice est ramenée chez elle, inconsciente, par deux joueurs de crosse, qui se vanteront plus tard d’avoir abusé d’elle sur la banquette arrière du véhicule.

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Des destins liés par le traumatisme

À travers le roman, le lecteur navigue entre les points de vue d’Alice et Nick, qui sont tous deux sur un chemin guidé par le traumatisme de cet événement. Pour Alice, c’est un récit peuplé de doutes, d’insécurités, qui la poussent à rester dans l’ombre, par peur de découvrir ce qui s’est réellement passé lors de cette soirée. Nick, en revanche, pratique à merveille l’auto-sabotage : il est incapable de garder un travail stable, de maintenir une relation saine avec Lindsey et sa fille, et préfère tout noyer dans l’alcool. Mais cet évènement les lie tous les deux indirectement, ainsi que leurs amis Haley et Richard, et le sort ne peut que les ramener à affronter cette zone d’ombre qui les a marqués pendant plus d’une quinzaine d’années.

Le poids de la rumeur

Même si Nick est un des personnages principaux et un des narrateurs, c’est le seul qui n’a jamais aucun contact avec Alice, et surtout, le seul qui n’essaie pas d’influencer directement sa manière de raconter sa propre histoire et son traumatisme. Haley, plutôt que d’agir dans l’intérêt d’Alice qui cherche à oublier cette soirée, essaie d’utiliser son témoignage comme arme contre les agresseurs sexuels puissants. Richard, un des deux supposés agresseurs ayant lancé la rumeur, cherche le contact avec Alice après quinze ans pour essayer de rétablir la vérité. Et là est le point fort de ce kaléidoscope créé par Kate Reed Petty : même si Richard dit ce qui pour lui est la vérité, la rumeur qu’il a lancée en 1999 a tellement enflé qu’elle enveloppe la vérité sans laisser de possibilité d’apaiser le traumatisme. Alice ne cherchait pas la vérité, simplement une façon de dire la sienne qui donnerait du sens à son expérience traumatique.

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« La voix narrative n’appartient pas qu’aux agresseurs »[1]

Les témoignages d’agression sexuelle et de viol sont monnaie courante depuis beaucoup d’années, et l’histoire est souvent la même : un homme agresse une femme, celle-ci témoigne, mais les conséquences pour l’homme ne sont que risibles face aux traumatismes laissés. Dans son premier roman, Kate Reed Petty renverse l’histoire et donne la parole à la victime et à ses agresseurs, dans toute l’inconsistance du traumatisme vécu. Le lecteur se perd et se retrouve, à la recherche de la vérité de cette fameuse nuit. Mais les récits réverbérés autour de cet évènement prennent trop d’ampleur et de force, lancés par les deux agresseurs, pour laisser une place à la vérité. Il ne s’agit plus pour Alice que d’essayer de se reconstruire, sans connaître son histoire.

 

True Story, Kate Reed Petty, Gallmeister, 2021.

[1] Prononcée par Alice, cette phrase aide à développer son point de vue sur tout le traumatisme qu’elle a vécu durant des années.