À l’annonce de la parution du dernier livre d’Édouard Louis, nombreux sont celles et ceux qui se sont dit que Changer : méthode ferait très certainement l’objet de leur prochaine lecture. Car depuis En finir avec Eddy Bellegueule, chacune des parutions de l’auteur est un évènement : allait-il une fois encore nous surprendre, nous happer dans le récit de son parcours ? Motivée par la découverte du nouveau témoignage de ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler ce « transfuge de classe », j’avais été bouleversée sept ans plus tôt par le premier texte d’Édouard Louis. Changer : méthode promettait de livrer les clefs de l’histoire d’Eddy, à la fois étonnante et douloureuse, et j’avais envie de renouer avec cet auteur sans fard.
Dans Changer : méthode, c’est avec le regard de celui qui a muri qu’Édouard Louis fait le récit de son parcours de vie, amorcé par un destin tout d’abord promis à un avenir difficile. Eddy Bellegueule, né près d’Amiens, grandit dans une famille aux revenus très modestes et sans aucune référence culturelle, dont le quotidien est rythmé par les difficultés financières, l’alcool et le chômage. Ses manières, son manque d’intérêt pour les activités dites masculines, vont très tôt faire de lui l’objet de brimades, que ce soit à l’école ou en famille. Il comprend rapidement que son entourage ne lui fera pas de place tel qu’il est, et que ses tentatives pour être conforme aux attentes (de sa famille ou de l’école) sont vouées à l’échec
Du changement…
Pendant sa scolarité, la rencontre avec plusieurs femmes va lui permettre de changer le cours des choses : avec la bibliothécaire du village, qui l’accueille le mercredi après-midi quand il n’est pas invité aux parties de football, avec la documentaliste du collège, qui lui donne ses premières références culturelles, et finalement avec la jeune Éléna et sa mère, qui l’intègrent à leur vie quotidienne et l’initient aux codes sociaux d’une autre classe.
On comprend toutefois que ces rencontres n’auraient pas suffi à emmener Édouard vers d’autres horizons : la douleur, la force de son malaise, l’impossibilité pour lui de demeurer dans son milieu d’origine le pousseront à se dépasser. Et seuls des changements tangibles lui permettront de se libérer réellement.
… à la libération
Édouard Louis décrit de façon détaillée les moments forts qui lui ont donné l’occasion de changer de direction, et les interrogations qui l’ont alors animé : il donne ainsi une autre force à son texte, évoquant avec nostalgie la douleur de la fuite et de la séparation, le prix à payer pour sa libération. L’écart est grand, entre le jeune picard harcelé et l’auteur internationalement reconnu, et la lecture de Changer : méthode permet d’accéder autant aux épisodes déterminants de son parcours qu’aux sentiments intimes du protagoniste.
Servi par une écriture maîtrisée, l’ouvrage fut comme je m’y attendais un moment de lecture fort. J’ai été frappée par l’intensité des sentiments et des émotions qu’Édouard Louis partage avec le lecteur, autant que par l’analyse sociétale qui se dégage de son récit. Le témoignage de ce jeune homme aujourd’hui accompli, qui a su inverser le cours de son destin, est profondément marquant. Comme l’ampleur des transformations qu’il s’est infligées : ses manières, son accent, son rire, son vocabulaire, son corps, sa façon de penser, son nom, il a tout changé ! Et si il évoque de nombreux moments de violence et de colère, ce qui reste de son livre a la tonalité de la tendresse et de la mélancolie, dernier tourbillon d’émotions dans lequel le lecteur se laisse happer avec force.