Kazuo Ishiguro
© Jeff Cottenden

Klara et le Soleil de Kazuo Ishiguro : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »

Dans son huitième roman, le prix Nobel de littérature Kazuo Ishiguro renoue avec les questionnements bioéthiques dans une touchante histoire sur l’amour et la solitude, avec un robot pour narrateur.

Klara est une Amie Artificielle, et de sa place dans le magasin où elle attend patiemment qu’un client la choisisse, elle cherche à comprendre les humains qu’elle observe avec attention. Quand la jeune Josie jette son dévolu sur elle, une nouvelle vie débute pour Klara…

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Dans son dernier livre, Kazuo Ishiguro nous offre un regard singulier sur la solitude, l’amour et l’humanité, le tout dans un futur qui paraît terriblement proche. Le romancier britannique d’origine japonaise renoue dans Klara et le Soleil avec ce qu’il y a de mieux dans ses romans : les questionnements moraux, la plongée aux cœurs des sentiments humains, la délicatesse de sa prose.

Bioéthique et sentiments humains

À sa manière bien à lui, c’est-à-dire en mettant l’humain au centre de ses romans, Ishiguro parvient à nous faire réfléchir sur les possibles travers du progrès scientifique et technique, et ce malgré le caractère robotique de sa narratrice. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait Rabelais, et c’est incontestablement ce qu’Ishiguro cherche à nous faire comprendre dans ce roman. De plus, il a l’élégance de le faire d’une manière qui laisse au lecteur le soin de se forger sa propre opinion. « Écrire un livre, selon moi, c’est ouvrir quelques petites fenêtres ici et là et, à la fin du livre vous les refermez. Mais le lecteur continue de penser à ces petites choses qu’il a surprises en regardant à l’intérieur1 », confie-t-il fort à propos dans un entretien accordé à L’Obs.

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Malgré l’aspect science-fictif de son roman, comme toujours chez Ishiguro, la place des humains, et surtout de leurs sentiments, est centrale. Il nous offre dans ce roman un regard particulièrement touchant sur la solitude : que ce soit celle d’une mère divorcée et endeuillée, d’une adolescente mise de côté en raison de sa maladie et de l’évolution des mœurs (Josie), de laissés-pour-compte de la société comme Rick et la mère de Rick, et même de robots comme Klara menacés par l’obsolescence et la perte d’intérêt de leur maître.

Par ailleurs, j’ai aussi trouvé que le ton de la narratrice, cette Amie Artificielle, était très juste. Ishiguro a en effet réussi à lui conférer un mélange de naïveté et de sagesse la rendant attachante, et conférant à son regard une dimension très intéressante. Son dévouement est tout simplement émouvant, et malgré son origine robotique, c’est un des, voire le personnage le plus sympathique du roman.

Ishiguro au sommet de son art

Régulièrement décrit comme inférieur aux Vestiges du jour ou à Auprès de moi toujours, Klara et le Soleil est à mon avis tout aussi bon ; peut-être que le dénouement moins tragique et la chute plus douce ont atténué pour certains la puissance émotionnelle du roman. Il est vrai qu’il ressemble sur un certain nombre d’aspects à Auprès de moi toujours, en particulièrement sur l’aspect bioéthique, mais les qualités habituelles de l’auteur, la personnalité inhabituelle de la narratrice qui est ici une page vierge, ainsi que le contexte hissent à mon avis Klara et le Soleil au même niveau que les meilleurs romans d’Ishiguro.

Ishiguro a révélé « dans des romans d’une grande force émotionnelle, l’abîme sous l’illusion que nous avons de notre rapport au monde », a-t-on dit de lui lors de la remise du prix Nobel de littérature 2017, et il le prouve une nouvelle fois de fort belle manière avec Klara et le Soleil.

 

Klara et le Soleil de Kazuo Ishiguro, Gallimard, 2021.

 

1 Didier Jacob, « Les robots d’Ishiguro. Entretien avec Kazuo Ishiguro », L’Obs, 2 septembre 2021, p. 70-73.