« Voilà ce que les obstétriciens et les sages-femmes appellent le mal joli : sitôt qu’il est fini, on l’oublie. Et on recommence. »
L’antanaclase la plus célèbre n’est plus à présenter : le cœur a ses raisons que la raison ignore. Et pour Emma Becker, c’est souvent le cœur qui l’emporte sur la raison.
Si Flaubert, à ce qu’on raconte, déclarait être Madame Bovary, en donnant vie à une héroïne dévorée par ses amours, notre autrice s’affirme à son tour comme une femme de passions avec Le Mal Joli, son nouveau roman aux allures d’autofiction. À partir du 21 août 2024, nous avons donc pu plonger cœur et âme dans cette nouvelle histoire adultère entre écrivains, naviguant entre les couches culottes de Nini, les citations d’Alain et les affres de la condition féminine. En publiant Emma Becker, Albin Michel s’assure un certain succès : l’amoureuse a déjà sa réputation avec La Maison en 2019 puis avec L’Inconduite en 2022. Son public l’attendait de pied ferme pendant cette rentrée littéraire, brûlant de retrouver cette fougue signée Becker.
Notre roman, vous l’aurez compris, parle de passion.
Structuré en trois saisons – Printemps, Été, Hiver – Le Mal Joli relate la relation extraconjugale d’Emma avec Antonin de Quincy d’Avricourt, un écrivain rencontré lors d’un prix littéraire. Le récit, qui pourrait évoquer Madame Bovary ou La Princesse de Clèves, prend une tournure unique grâce à sa dimension maternelle. L’autrice parvient à mêler avec subtilité la trivialité des journées rythmées par les enfants et l’intensité de ses ébats passionnels.
Ce qui fait le sel du Mal Joli, c’est son piment : un vocabulaire relevé, des phrases crues, des pages vibrantes de sensualité. Sa plume est, comme toujours, provocante et plus qu’explicite. Les scènes sont parfois choquantes, mais jamais gratuites. Il s’agit pour l’autrice d’une réappropriation de son corps après deux grossesses, d’une affirmation de soi en tant que femme et écrivaine. Elle s’inscrit dans une démarche d’honnêteté viscérale, où chacun de ses mots porte une vérité crue et vivante.
Le cœur du roman dépasse néanmoins la simple passion charnelle. Au fil des pages, c’est un véritable portrait de femme qu’Emma Becker nous offre. La séparation des amants durant l’été, est par ailleurs l’occasion pour l’autrice d’explorer des thématiques plus profondes, telles que les normes genrées ou l’ennui du quotidien.
Nuançons toutefois notre jugement en relevant quelques faiblesses. Les récurrences dans les scènes érotiques et les réflexions parfois trop appuyées sur la maternité peuvent lasser. De même, le ton volontairement familier, proche de la chanson paillarde, pourrait rebuter les amateurs de subtilité, en dépit des phrases élevées qui encadrent les instants d’amour.
Lecteurs, ce roman se lit donc avec le cœur bien accroché et toute raison mise de côté. Parce qu’une fois passées les redondances, dignes d’un disque d’amour rayé, Le Mal Joli sera fini et vous l’oublierez…
Pour mieux recommencer.